Vous sortez tout juste de chez le concessionnaire avec votre nouvelle voiture. Ça sent le neuf, le moteur ronronne à la perfection. Au premier virage, la voix de synthèse de l'ordinateur de bord s'active : « Pour tourner, utilisez le volant. » OK, que vous vous dites... Étrange, mais c'est gentil de prévenir... Un feu rouge approche. « Pour ralentir le véhicule, appuyez sur la pédale de frein. » D'accord, sympa de donner l'info... « Pour redémarrer, appuyez sur la pédale d'accélération. » « Il pleut, utilisez le bouton de droite pour activer les essuie-glace. » « Pour effectuer un changement de file, activez les clignotants situés sur la partie droite du volant. » « Pour sortir du véhicule, ouvrir la porte grâce à la poignée située sur votre gauche. » Ça serait fou, non ? Imaginez qu'une bagnole, à sa première utilisation, vous rappelle systématiquement toutes les bases de son fonctionnement. Pire : que ça ne soit même pas désactivable. Il faut obligatoirement se taper 150 bornes à entendre : « Pour baisser la vitre, utilisez la commande située sur la portière. » On finirait par donner des coups de cric sur le tableau de bord. Pourtant, c'est exactement ce qui se passe dans les jeux vidéo, et personne ne dit rien. Il faut que ça change.
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L'enfer du tutoriel obligatoire
Ou comment massacrer les premiers instants d'un jeu
Un des grands plaisirs de mon existence est de critiquer le travail des développeurs de jeux vidéo, confortablement installé dans mon fauteuil, en caleçon, après m'être levé à 14 h 30 du matin. Ce mois-ci, j'ai souhaité vomir sur les insupportables tutoriels obligatoires qui me pourrissent une vie déjà bien éprouvante.
À vouloir tout expliquer au joueur, on le vole peut-être de la satisfaction d'avoir découvert quelque chose par lui-même.
Ça donne des boutons. Attention, je ne suis pas contre les tutoriels. Je suis même plutôt pour. Ils sont essentiels pour appréhender certains jeux riches et complexes. Mais aucun tutoriel ne devrait jamais être obligatoire. Il ne doit pas s'imposer comme une barrière à franchir pour profiter du reste du jeu. Deux exemples m'ont marqué ces dernières années : Metal Gear Solid V et Red Dead Redemption 2. Dans ces jeux, le tutoriel, intégré au forceps au prologue de l'histoire, dure des plombes. Vous découvrez l'histoire, vous essayez de vous mettre dans l'ambiance, et tout à coup un vieux message inutile, du genre « appuyez sur A pour grimper », vient barrer l'écran. Niveau immersion, on a vu mieux. Honnêtement, n'aurait-on pas pu coller ces messages dans les (longs) écrans de chargement ? Faut-il vraiment faire subir aux joueurs expérimentés de longues missions ridiculement lentes et faciles afin qu'ils comprennent les mécanismes les plus élémentaires d'un jeu ? Je voulais me refaire Metal Gear Solid V il y a quelques mois. En le relançant, et en constatant que j'allais à nouveau devoir me taper cet interminable prologue où sont expliqués tous les contrôles, j'ai fait Alt-F4 et je suis passé à autre chose.
Le petit bonhomme en haut à gauche. Ces tutoriels obligatoires sont d'autant plus regrettables que de nombreux développeurs ont mis en place des solutions plus élégantes. Prenez les Total War de Creative Assembly par exemple. Vous avez un petit bonhomme en haut à gauche de l'écran qui dispense des conseils selon les actions du joueur. On peut même configurer le niveau de détail des conseils. Un joueur qui découvre Total War voudra la totale lorsqu'il ouvre l'écran de gestion des cités pour la première fois. Un vétéran de la série pourra choisir de n'avoir que des informations se rapportant aux nouveautés de l'épisode. Rimworld, lui, se contente d'une discrète fenêtre énumérant les sujets les plus simples dans un coin de l'écran. C'est simplement du texte, et ça se ferme en un clic. Dark Souls fournit les contrôles de base en quelques secondes, puis lâche directement le joueur sur un premier combat très difficile pour qu'il se fasse la main. On rentre tout de suite dans le gras du jeu, sans avoir à se taper des heures entières destinées à des gens qui n'ont jamais eu un gamepad entre les mains.
La jurisprudence Pac-Man. Alors attention, je ne dis pas qu'il faut sucrer les tutoriels destinés aux débutants. Personne ne naît en sachant instinctivement qu'il faut appuyer sur B pour sauter, et que la touche I permet d'ouvrir l'inventaire. À partir du moment où le tutoriel n'est pas imposé, qu'il réside dans sa petite zone séparée et optionnelle, je n'ai rien à dire. Enfin presque... Allez, franchement, a-t-on vraiment besoin d'un tutoriel pour tout et n'importe quoi ? N'y a-t-il pas parfois une insultante infantilisation du consommateur ? En 2019, alors que les gamins des années 2000 sont nés avec un gamepad ou une souris entre les mains, on nous rabâche encore qu'il faut utiliser la molette pour zoomer, ou que le point de vue du personnage se change avec le stick analogique. Pourquoi ne pas laisser à l'utilisateur l'opportunité de trouver ça tout seul ? L'encourager à faire des tripotages au pif pour voir ce que ça donne ? Lui permettre d'expérimenter à son rythme, plutôt que de lui balancer des messages informatifs secs ? À vouloir tout expliquer au joueur, on lui vole peut-être la satisfaction d'avoir découvert quelque chose par lui-même. Ni Pac-Man, ni Super Mario, ni Tetris, ni Wolfenstein 3D, qui furent révolutionnaires à leur époque, n'avaient le moindre tutoriel. Et pourtant l'humanité, à force de courage, de persévérance et de sacrifice, a bien fini par trouver comment y jouer.