Je me souviens encore du sentiment de liberté que j'ai éprouvé en décidant de tourner le dos à World of Warcraft. Soudain, mon horizon vidéoludique ne se résumait plus à double-cliquer sur wow.exe sans réfléchir et je pouvais enfin jouer à tous ces jeux que je n'avais pas pu lancer faute de temps. Le jeu de Blizzard n'était toutefois pas entièrement responsable de ce ras-le-bol : ma vieille carcasse s'était d'abord traînée sur Planetside et Ryzom avant d’atterrir en Azeroth. Trois titres qui, l'air de rien, ont constitué un tunnel de deux ou trois années durant lesquelles j'ai été incapable de jouer à autre chose qu'à mon « jeu du moment ». Je garde malgré tout de bon souvenirs de ces jeux, même si leur côté chronophage m'a fait passer à côté de grands titres comme Vampire : La Mascarade - Redemption, Battlefield 2 ou Doom 3Note : 1. Je me suis empressé de rattraper mon retard durant ma période « du MMO à YOLO », tel un taulard qui redécouvrait les plaisirs de la liberté en se jurant que plus jamais un jeu vidéo ne contrôlerait son emploi du temps. Ah le con.
Note 1 : Bon là, ok, je déconne.
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Et si on arrêtait de farmer ?
Ou l'art subtil de se réapproprier son temps libre
Il y a une quinzaine d'années, je me retrouvais à farmer je ne sais plus quelle bestiole dans World of Warcraft, afin de récupérer un familier introuvable autrement. Après avoir passé des journées à tabasser des dragonnets, un éclair de lucidité illumina ma tronche aussi subitement qu'une torche dans une pièce sombre : cette façon d'envisager le jeu vidéo, heures passées à faire la même chose en boucle, ne m'amusait pas du tout. Depuis, j'ai beau avoir lâché les MMORPG et leur obsession du farming, le problème n'est pas réglé pour autant.
Il n'y a pas des milliers de façons d'obtenir ce que les spécialistes appellent des « clients captifs » : dans le jeu vidéo, la méthode la plus efficace reste encore un système de quêtes régulières.
De la bonne grosse base. Aujourd'hui, avec Apex : Legends, je suis retombé dans le même travers qu'il y a quinze ans. Comment est-ce possible ? Comment ai-je pu reproduire le même schéma, après avoir juré de ne plus jouer à des MMORPG pendant mon temps libre ? Au risque de passer pour une flemmasse qui s'explique à coups d'images convenues : je me suis tout simplement fait ébouillanter comme la dernière des grenouilles. En 2005, les jeux solo étaient des jeux solo, les jeux multi étaient des jeux multi et les MMO étaient des MMO. Aujourd'hui, cette ligne est devenue plus floue et presque tous les jeux sont liés à Internet d'une façon ou une autre. Les considérations économiques dûes à l'augmentation des coûts de production jouent également un rôle : l'industrie du jeu vidéo ne jure plus que par le « game as serviceNote : 2 ». L'objectif ? Sortir moins de jeux et s'assurer que les joueurs y resteront aussi longtemps que possible, afin de leur refiler un maximum de DLC. La logique est imparable : si un pourcentage de joueurs achètent vos DLC à leur sortie, une plus grande base de joueurs promet tout simplement plus de ventes. Ok, mais comment fidéliser quelqu'un sans lui coller un flingue sur la tempe ?
Note 2 : « Le jeu en tant que service », pour celles et ceux qui ont eu moins de un sur vingt de moyenne en anglais.
Farmé à double tour. Il n'y a pas des milliers de façons d'obtenir ce que les spécialistes appellent des « clients captifs ». Dans le jeu vidéo, la méthode la plus efficace reste encore le bon vieil os à ronger, avec à un système de quêtes quotidiennes, hebdomadaires ou mensuelles. Ces missions existent en général dans le seul but de faire revenir le joueur, en lui promettant des récompenses directesNote : 3 ou indirectesNote : 4. Et c'est précisément là que le jeu vidéo, plus ou moins multi et toujours en ligne, rejoint les mécaniques vicelardes qui m'ont fait quitter les MMO. Hier, nous farmions les donjons du seigneur Gartagle pour looter des épées du tonnerre et des casques de la mort qui pue. Aujourd'hui, nous farmons un énième jeu dans l'espoir de débloquer du matériel qui nous permettra d'avancer plus facilement ou (plus souvent) pour se faire plaisir en débloquant de nouvelles babioles cosmétiques. Et si l'objectif – progresser dans les MMO et se faire plaisir dans la plupart des autres jeux – diffère parfois, la façon de faire n'en reste pas moins similaire et, disons-le franchement, aussi épuisante que le supplice qui nous était infligé au début des années 2000.
Note 3 : Une skin de personnage, par exemple.
Note 4 : Des points qui, accumulés en assez grand nombre, permettront d'obtenir la fameuse skin de personnage.
Retiens l'ennui. Plus inquiétant encore : d'abord cantonnées aux jeux multi, ces missions qui poussent le joueur à farmer sans cesse des trucs et des machins commencent à envahir les jeux solo, à l'image d'Assassin's Creed Odyssey qui y va de ses petites quêtes quotidiennes. En effet, le titre d'Ubisoft est fourré de missions qui visent à offrir chaque jour des ressources au joueur, afin de lui permettre d'obtenir plus « facilement » le meilleur équipement du jeu. Bien sûr, une personne hermétique à ce genre de mécaniques aura du mal à comprendre comment quelqu'un peut être suffisamment idiot pour revenir farmer des éléments dispensables. Mais il ne faut pas oublier qu'un joueur lance un jeu pour se faire plaisir, un plaisir qui prend parfois la forme d'une skin bien clinquante ou d'un objet top moumoute qui lui fera oublier son tiers provisionnel ou sa bagnole emboutie le temps d'une soirée. Moi aussi, j'ai mes moments de faiblesse, et il m'arrive de sombrer dans le farming bêtifiant avant de me réveiller en sursaut pour passer au jeu suivant et tout recommencer. Et, par la force des choses, je me rappelle de temps à autre que cette façon d'envisager le jeu vidéo ne m'amuse pas du tout.