Diablo IV
Cornu d'abondance
Ça ne va pas fort chez Blizzard. Non seulement les employés sont si peu payés qu'ils n'arrivent pas à se nourrir et se bourrent de café pour se couper l'appétit (non, ce n'est pas une blague : cpc.cx/blizzardsalaires) mais en plus, j'en suis persuadé, les développeurs de Diablo IV ont été enfermés dans une cave. C'est la seule explication rationnelle au déballage auquel on assiste aujourd'hui. Trop heureux de voir à nouveau la lumière du jour après des années de silence et d'obscurité durant lesquelles ils devaient nier jusqu'à l'existence du jeu, ils n'arrêtent plus de parler.
Par L-F. Sébum | le 28 août 2020
En plus des nombreuses informations communiquées lors de la BlizzCon de novembre 2019 (rappelons que l'édition 2020 a été, comme tout le reste, annulée pour cause de toux persistante), Blizzard nous a gratifiés d'un devblog qui, tous les trois mois, fait un point sur le développement et détaille les raisons de certains choix de design. L'initiative est intéressante, non seulement parce que bon, même si le jeu n'est pas près de sortir, on reste quand même curieux de savoir comment ils vont pouvoir pondre un machin susceptible de satisfaire à la fois les fans de Diablo III et les irréductibles du II (qui ont depuis migré en masse vers Path of Exile), mais surtout parce qu'il est rare, à un stade de développement si précoce d'un AAA, d'entendre des développeurs évoquer publiquement le processus créatif.
Mais commençons par résumer l'essentiel. Fidèle aux habitudes, le jeu proposera cinq classes de personnages, dont trois, le barbare, la sorcière et le druide, ont déjà été révélées, à la non-surprise générale : les deux premières sont désormais des incontournables de chaque épisode ; quant à la troisième, ajoutée dans l'extension « Lord of Destruction » de Diablo II et dont les fans avaient espéré en vain le retour dans Diablo III, elle était en tête des paris chez tous les bookmakers. Tant au niveau de leur apparence que de leurs capacités – le druide est toujours capable de se changer en loup ou en ours et, très vraisemblablement, verra encore les dégâts de ses griffes augmenter lorsqu'il acquerra une arme plus puissante, ça fait bientôt vingt ans que j'essaie de trouver une explication rationnelle –, ces classes sont d'ailleurs fidèles à leurs incarnations précédentes. Toutefois, il sera désormais possible de customiser son personnage, par exemple en choisissant son visage ou la couleur de sa peau, et même celle de sa monture. Car oui, il y aura des montures dans un Diablo, oui, c'est une révolution. En même temps, il sera bien utile de pouvoir se déplacer rapidement dans un jeu à monde ouvert. Ah oui quand même.
La règle est donc confirmée : esthétique à la Diablo II + graphismes en 3D = look Path of Exile
La règle est donc confirmée : esthétique à la Diablo II + graphismes en 3D = look Path of Exile
Impossible de ne pas rigoler devant cette image censée illustrer la façon dont les artistes de Blizzard s'inspirent du monde réel pour créer des monstres, et qui ressemble quand même beaucoup à un mème pourri.
Impossible de ne pas rigoler devant cette image censée illustrer la façon dont les artistes de Blizzard s'inspirent du monde réel pour créer des monstres, et qui ressemble quand même beaucoup à un mème pourri.
Blizzard a retenu les leçons de l'extraordinaire mode aventure de Diablo III, probablement la meilleure innovation de l'histoire du hack'n'slash.
Lilith de la nation. Oui, pardon, passer en deux phrases de « ben y aura des barbares et des sorcières com dab tavu » à « ce sera un Diablo à monde ouvert avec des chevaux » est sans doute un peu violent. Mais bon, désolé, c'est comme ça, Blizzard a retenu les leçons de Diablo III, et surtout de l'extraordinaire mode aventure ajouté par son extension, probablement la meilleure innovation de l'histoire du hack'n'slash : plutôt que d'obliger les pauvres joueurs à se taper trois fois de suite la même histoire inepte et linéaire face à des ennemis de difficulté croissante – exercice déjà chiant en soi, qui le devient encore plus dans un genre centré uniquement sur l'amélioration du personnage et le minimaxage –, le mode aventure permettait de se téléporter librement d'un checkpoint à l'autre pour accomplir de petites missions aléatoires immédiatement rémunérées en loot et en expérience. Le monde de Diablo IV sera donc divisé en cinq régions, six en comptant l'Enfer, qui couvriront à peu près tous les biomes auxquels nous a habitués la série (des déserts aux pics enneigés en passant par des forêts arthuriennes) et que le joueur pourra explorer dans l'ordre qu'il souhaite puisque le niveau des ennemis augmentera automatiquement avec celui du joueur. Alors oui, je sais, pour le lecteur moyen de Canard PC, qui a en tête les bandits de grand chemin en armure daédrique intégrale d'Oblivion, le level scaling, c'est le mal absolu, une horreur intolérable quelles que soient les circonstances. Mais dans un hack'n'slash, où augmenter la difficulté des monstres de façon graduelle est quasiment le principe du jeu, on a envie de laisser à Blizzard le bénéfice du doute, sans compter qu'il serait difficile d'équilibrer autrement un jeu à monde ouvert, et qu'il s'agira de toute façon d'un level scaling « à plancher », c'est-à-dire que chaque type de monstre aura un niveau minimum, rendant certaines zones et certains combats inaccessibles au début du jeu.
Contrairement à Diablo III, dont le mode aventure était plus ou moins l'équivalent du « skirmish » des STR, un bac à sable destiné à celles et ceux qui ont fini la campagne traditionnelle, le scénario de Diablo IV sera dès le départ pensé pour laisser le joueur ou la joueuse explorer comme ça lui chante. Cela implique, nous dit Blizzard, une histoire « non linéaire » qui, on le suppose, convergera tout de même vers un point final une fois chaque élément accompli – on peut même d'ores et déjà parier que ce dernier aura à voir avec le retour de Lilith, la fille de Méphisto si j'ai bien compris l'arbre généalogique des démons primordiaux, à peu près aussi confus que celui des Habsbourg, et qui a d'ailleurs abouti au même genre de faciès. On sait aussi – ce sont les développeurs eux-mêmes qui l'affirment– que malgré ses accents mythologiques, le scénario s'intéressera également cette fois « aux éléments plus quotidiens du monde de Sanctuary » et là on se demande un peu de quoi il s'agit, Diablo étant une licence qui s'est toujours davantage intéressée au combat éternel du Bien contre le Mal qu'aux subtilités des relations interpersonnelles, mais bon, qui sait, peut-être qu'on aura droit à des quêtes secondaires teintées de réalisme social où l'on devra aider les paysans de Sanctuary à monter un syndicat de producteurs.
Par démons et par vaux. Autre grande rupture avec la tradition diabloesque, la carte du monde sera désormais fixe, seuls les donjons – le mot « donjon » étant à comprendre au sens large : il pourra s'agir de grottes ou de châteaux mais aussi de zones en extérieur – étant générés de façon aléatoire à chaque fois qu'un joueur y pénètre. Si vous êtes en train de vous dire « moui, un peu comme dans un MMO, quoi », vous n'avez pas tort. Diablo IV, à l'instar de l'épisode précédent, nécessitera une connexion permanente y compris pour jouer seul, mais lui en tirera vraiment profit puisqu'il sera possible de croiser les autres joueurs du même serveur sur la carte du monde et de constituer des groupes avec eux afin d'emmener des copains (quatre maximum) dans les donjons, qui eux sont instanciés. Afin d'encourager la coopération, des « événements mondiaux », sortes de quêtes spéciales, auront régulièrement lieu. Lorsqu'ils se déclencheront, tous les joueurs du serveur seront avertis et leur position sera affichée sur la carte. Dans la démo de deux jours à laquelle ont pu participer quelques fans triés sur le volet, le seul événement mondial disponible était l'arrivée d'Ashava le pestilent, un énorme démon que plusieurs joueurs devaient affronter ensemble pour avoir une chance de l'emporter. Sur le devblog, on apprend également que Duriel, alias le boss le plus pénible de Diablo II, fera son grand retour lors d'un événement qui, comme à l'époque, contraindra les joueurs à se battre dans une arène minuscule limitant leur mobilité.
Parlons un peu des combats justement, qui ont malgré tout une importance marginale dans un hack'n'slash. On sent que Blizard compte faire de son mieux pour éviter le syndrome dit de « lassitude du canal carpien » qu'on ressent après avoir passé deux heures à cliquer sur des trucs en boucle. On retrouvera bien sûr le feedback exagéré de Diablo III, qui donnait à chaque mandale une efficacité digne d'une rafale de canon à plasma dans un FPS. Mais surtout, tout sera fait pour diversifier les affrontements. Les combats contre les boss seront divisés en phases de difficulté croissante, tandis que les mobs seront désormais regroupés en familles de monstres, dont chaque membre jouera un rôle spécifique lors des combats : certains seront chargés de noyer les joueurs sous la masse, d'autres de lancer des attaques de zone, d'autres encore serviront de tanks pour protéger leurs lanceurs de sorts, obligeant à penser de façon tactique, enfin en tout cas jusqu'au moment où le barbare du groupe sera assez balèze pour charcuter tout le monde immédiatement en tournoyant comme un derviche cocaïné. Autre idée intéressante, importée du portage console de Diablo III, le personnage disposera désormais d'une esquive, ce qui permettra d'éviter les coups de façon précise au lieu de kiter comme un poulet sans tête ou de se reposer uniquement sur sa classe d'armure pour sa protection. Sachez que oui, enfin, il sera possible de jouer sur PC avec un pad et de faire de Diablo IV un véritable action-RPG dans lequel on contrôlera directement le personnage. Le mode coopératif local à deux joueurs, malheureusement, restera une exclusivité console.
Rupture avec la tradition diabloesque, la carte du monde sera désormais fixe, seuls les donjons étant générés de façon aléatoire.
Baal au centre. On sait également que le PvP, arlésienne de Diablo III dont les joueurs auront attendu en vain l'ajout pendant des années, sera cette fois-ci de la partie puisque, je cite, « il a été pris en compte depuis le début du développement », et qu'il y a peu de chances que Blizzard se hasarde à mentir de nouveau. Les plus exigeants seront heureux d'apprendre que le mode hardcore, où la mort des personnages est permanente, fera son grand retour, mais aussi que les sets d'objets seront réservés aux personnages de niveau maximal et, comme dans Diablo III, conçus chacun pour optimiser un build spécifique. Les objets légendaires, quant à eux, seront de tous niveaux et accompagneront le personnage pendant sa progression, avant qu'il ou elle gagne accès aux objets mythiques, nouvelle catégorie d'artefacts disposant chacun de quatre pouvoirs différents, un seul pouvant être activé à la fois.
Diablo IV, Blizzard l'a reconnu en ces termes exacts, devra « plaire à la fois aux fans de Diablo II et à ceux de Diablo III », aux inconditionnels du hack'n'slash et à celles et ceux qui cherchent juste un défouloir pour s'occuper une heure en rentrant du boulot. La synthèse semble a priori difficile mais Diablo IV, mélange de MMO et de hack'n'slash, de concessions au jeu en ligne moderne (on trouvera des microtransactions cosmétiques) et de retour à la tradition (en plus du retour à une ambiance visuelle beaucoup plus sombre, on retrouvera les livres de compétences du premier Diablo), de jeu hardcore (les choix de skills seront à nouveau définitifs) et d'accessibilité (il sera possible de toutes les débloquer à la fois pour peu qu'on joue assez longtemps), semble avoir choisi la meilleure option pour réussir son Congrès d'Épinay de l'action-RPG. Reste à savoir qui, des mathématiciens fous qui poncent Path of Exile ou des cliqueurs casual, joueront le rôle du PCF dans cette histoire.