Si vous vous souvenez de l'article de l'année dernière (ou du stream épique durant lequel notre héros, l'inspecteur Malware, s'est retrouvé à enquêter sur son propre meurtre et à pratiquer sa propre autopsie), vous savez sans doute qu'AI Dungeon, malgré son incroyable talent d'improvisateur, souffrait d'un déficit de mémoire à court terme digne d'un alzheimérien et avait tendance à pondre des récits quelque peu, disons, décousus. La principale nouveauté du modèle Dragon, censée justifier son prix digne d'un MMO de la grande époque, est justement sa capacité à garantir un minimum de cohérence. Un test rapide, effectué en jouant deux fois le même scénario (un espion américain qui infiltre une réunion de conspirateurs russes), est en effet flagrant. Parti me cacher dans les chiottes attendre qu'un Russe s'y rende pour voler ses vêtements et me déguiser façon Agent 47, Dragon comprend tout de suite mon intention et me décrit la scène avec une grande précision : « Vous vous regardez dans le miroir : vous avez l'air d'un Russe. (...) Les autres participants ne semblent pas s'apercevoir du changement et vous parlent comme si vous étiez l'homme dont vous avez usurpé l'identité. » Griffon, le modèle gratuit, part quant à lui immédiatement en couille et m'explique qu'à peine entré dans les toilettes je me suis suicide avec mon arme puis me réveille chez moi, car tout cela n'était qu'un rêve.
Ce genre de facilités – et de grand n'importe quoi – qui pourrissait si souvent les parties d'AI Dungeon est désormais de l'histoire ancienne. Le modèle Dragon parvient à garder trace des éléments évoqués par le passé (on peut même consulter à tout moment l'état de la mémoire pour voir quels éléments et relations l'IA garde en tête) et à les insérer de nouveau dans le récit de façon très adroite. Exemple parmi d'autres : un bruit étrange résonne dans ma hutte de sorcière, je balance un éclair dans sa direction, électrocutant par accident mon alligator domestique, dont l'existence n'avait plus été évoquée depuis le début de la partie. De nouveaux systèmes, comme les quêtes, qui attribuent au joueur des objectifs précis (fabriquer une potion, libérer un prisonnier... le jeu en fournit un au début de chaque aventure et libre à vous d'en ajouter d'autres, il suffit de les écrire), aident aussi à structurer l'aventure. Pour peu qu'on prenne la peine d'utiliser le mode « édition d'histoire » pour remettre l'IA sur les rails lorsqu'elle commence à se mélanger les pinceaux, il est presque, je dis bien presque, possible de vivre des aventures aussi cohérentes que le seraient celles menées par un conteur humain.
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AI Dungeon 2
Donjons et Dragon
Fin 2019, des étoiles plein les yeux, je vous parlais d'AI Dungeon, ce jeu de rôles en mode texte qui utilise un réseau de neurones pour générer des aventures en temps réel. Un an plus tard, ce qui n'était à l'origine que le projet de fin d'études d'un certain Nick Walton est devenu une des stars du JV indépendant, attirant rôlistes, curieux, artistes et passionnés d'IA par milliers, et explosant les factures d'hébergement du pauvre Nick. Souhaitant comme tout un chacun éviter les huissiers, Walton propose désormais un abonnement premium : pour 10 dollars par mois, vous aurez accès à Dragon, un modèle de génération de texte « révolutionnaire ».
AI pour de bonnes raisons. Car en dépit de l'indéniable qualité du modèle Dragon, Nick Walton n'a toujours pas réussi à corriger définitivement le grand point faible d'AI Dungeon : sa difficulté à garder trace des personnages. L'IA continue de confondre allègrement tous les PNJ qu'elle génère, quand elle ne les fait pas changer de nom en plein milieu d'aventure. Parfois avec un résultat hilarant, comme lors de cette aventure post-apo' où mon personnage s'est retrouvé dans une colonie de survivants dont les femmes ne savaient jamais combien elles avaient d'enfants et où personne ne savait comment il s'appelait, jusqu'à cette scène d'anthologie digne d'un roman de SF où l'un des survivants est allé chercher dans la cave un carton rempli de badges avec des prénoms monosyllabiques comme Jon et Sue, mais aussi, précisa l'IA, « de vrais noms d'avant l'apocalypse comme Bridget O'Connell, Matthias Fermier, Eliza Ramirez ». Toujours aussi inventive mais un peu moins crétine, l'IA d'AI Dungeon connaît désormais des moments de pur génie, à tel point que plusieurs auteurs l'utilisent actuellement comme outil d'aide à la rédaction. Rien d'étonnant car, pour répondre à la question de ce philistin d'ackboo (« ouais c'est bien joli mais est-ce que c'est un jeu ? »), AI Dungeon reste aujourd'hui plus un outil, ou une expérimentation, qu'autre chose. Son mode multi, qui permet simplement à plusieurs personnes d'écrire dans la même console et se met à buguer s'ils postent en même temps, en est l'illustration la plus flagrante. À moins d'être, comme moi, obsédé par la génération aléatoire de texte et capable de pleurer de rire pendant dix minutes après avoir croisé Dieu qui vous explique que les péchés du monde seront rachetés par un Écossais du nom d'Alan, ou tué le sorcier qui vient de vous métamorphoser en lui sautant au visage (le pauvre était allergique aux grenouilles), vous risquez de vous en lasser assez vite.