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Broken Pieces (2022)
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Promenade (2023)
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Blanc (2023)
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Foretales (2022)
Basée à Nantes, cette association mettait en réseau depuis quinze ans les professionnels de la région, aidant à la création et l’évolution d’entreprise, offrant des espaces d’échanges et de transmission, faisant l’interface avec les pouvoirs publics. Elle a soutenu des productions récentes comme Blanc, Broken Pieces, Promenade ou encore Foretales. Elle coorganisait l’ADDON, des rencontres professionnelles adossées au festival Stunfest jusqu’en 2024.

Sa disparition peut sembler peu de choses face à l’onde de choc des 100 millions de subventions et aides réduites ou supprimées par une présidente de région (Horizon, ex-LR) qui avait fait du soutien à la culture un argument de campagne en 2021. Les Plannings familiaux, des associations de lutte contre les violences faites aux femmes, le plus grand festival européen de musique classique, les Missions locales, le Théâtre régional… Atlangames est en bonne compagnie, celle de cette culture que l’on déclare trop nourrie à l’argent public pour être viable.
Promenade fait partie des nombreux jeux soutenus par l'association nantaise Atlangames.
Il est vrai que tous ces milieux associatifs, dont Atlangames n’est qu’un représentant parmi d’autres (East Games dans le Grand Est, Push Start en Occitanie, Bouftang à La Réunion...) sont par nature dépendants des subventions publiques, sans lesquelles il est difficile de rendre rentables le bénévolat et des causes qui n’attirent que rarement les riches mécènes désintéressés. Si Atlangames n’est plus là pour cimenter et animer l’industrie du jeu vidéo dans les Pays de la Loire, on est en lieu de se demander qui pourra reprendre de telles missions. Pas la Région, qui se désinvestit de la culture. Faut-il alors imaginer un interventionnisme soudain de l’État, vouloir qu’un éditeur ou un studio porte à lui seul sous son giron toute une création indépendante qui ne le serait plus tant, rêver de mécénat1 ou simplement laisser chaque créateur, chaque studio se débrouiller en considérant que ce n’est pas si grave ?

1. En 2016, la DRFiP (direction régionale des Finances publiques) de Bretagne a interdit au Stunfest de faire appel au mécénat, parce que le jeu vidéo n’était pas considéré comme « une œuvre d’art et de l’esprit ».

Subvention unlocked

Les dispositifs de soutien financier à la création de jeu vidéo sont après tout variés en France, que ce soit par l’État ou par les collectivités. Le ministère de la Culture, via le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) propose le Fonds d’aide au jeu vidéo (FAJV), ainsi qu’un Crédit d’impôt au jeu vidéo depuis 2008. L’IFCIC, un établissement de crédit détenu pour moitié par l’État, offre des garanties de prêt et un fonds d’aides participatives aux entreprises culturelles, dont le jeu vidéo. Et si les Pays de la Loire se désinvestissent, d’autres régions, comme l’Île-de-France, l’Occitanie ou La Réunion ont mis en place des fonds de soutien dédiés. D’après le Syndicat national du jeu vidéo, le SNJV, un tiers des entreprises interrogées citent ces dispositifs comme facteurs d’attractivité de l’industrie du jeu vidéo française, et près de la moitié des entreprises ont bénéficié d’une aide publique.

Les aides publiques diminuent, l’inflation est rampante, le secteur est en crise.

Ces différentes aides ont parfois plus de quinze ans, et évoluent au gré des gouvernements et d’une prise en compte croissante des enjeux liés à l’industrie. Loin du cliché des politiciens méprisant le jeu vidéo, il faut reconnaître que, de quinquennat en quinquennat et à travers les majorités, la question du soutien financier au secteur est revenue régulièrement. En 2011, une mission parlementaire remettait au Premier ministre François Fillon un rapport sur le régime juridique du jeu vidéo. En 2013, Bruno Retailleau était rapporteur au Sénat d’un texte incitant à développer le soutien économique au secteur, sous l’angle de la création d’entreprises et de « pépinières », le tout pour « jouer français ». Sur le site du ministère de la Culture, on trouve les archives d’intervention de nombreux ministres – d’Audrey Azoulay à Franck Riester, de Frédéric Mitterrand à Fleur Pellerin – en faveur du jeu vidéo.
Sifu fait partie des projets soutenus par le Fonds d'aide à la création de jeu vidéo en Île-de-France.

Je vois pas le rapport

Il ne faut bien sûr pas confondre actions éparses et politique systématisée. En 2023, le Cycle des Hautes Études de la Culture publiait pour le ministère du même nom un rapport sur la prise en compte du jeu vidéo dans les politiques publiques. Un document riche en informations et en propositions, dont certaines sont parfois les mêmes depuis dix ans, signe que si les choses changent dans les détails, les grosses décisions, elles, tardent à venir. Sur l’importance du secteur, c’est d’abord son poids économique, sa capacité d’embauche et son rayonnement culturel qui sont soulignés. Si le rapport évoque la possibilité de mettre de côté la logique de Bercy pour soutenir une création plus artistique et spécifique, il songe aussi à instrumentaliser le secteur : il s’agit de protéger la « souveraineté européenne », quand le nouveau barème du Crédit d’impôt voulait déjà encourager en 2022 les jeux s’appuyant sur « l’identité européenne ».

Cet accent mis sur le poids économique, plutôt qu’artistique, du jeu vidéo est notable lorsqu’on reproche d’un côté aux associations et à la culture de vivre sous perfusion d’argent public, en multipliant de l’autre les aides publiques aux entreprises. Je lis souvent des commentaires en ligne ricanant sur ces films d’auteur français soporifiques qui n’existeraient pas sans les aides du CNC. Mais c’est précisément parce que sans aide publique, peu de créations sont viables hors des grosses productions assez peu risquées pour rassurer les investisseurs. Difficile de se plaindre du dernier-né de la formule Ubisoft moribonde et du manque de créativité des gros éditeurs si on n’aide pas le petit indé bizarre et audacieux à sortir de l’œuf. Surtout lorsque l’on sait que le RSA et l’assurance-chômage, autres aides souvent décriées, maintiennent en vie toute la création solo française.

Je rêve d’une vraie politique publique, concertée, de grande ampleur, pour le jeu vidéo.

Discours de la bourse.

Ce constat est d’autant plus criant en cette période de crise économique sans précédent pour le jeu vidéo, où chaque semaine apporte son lot de nouveaux licenciements, de fermetures de studio, ou ses scandales de management toxique ou discriminatoire. Les aides publiques diminuent, l’inflation est rampante, le secteur est en crise. Dans le même temps, un événement vitrine comme les Pégases accueille des discours très politiciens, se félicitant des succès créatifs de la french touch et vantant les aides publiques, en taisant pudiquement – sous peine de se le voir reprocher – toutes les difficultés du secteur, comme le montraient récemment les vidéastes de Game Next Door. Peut-on s’auto-congratuler de succès arrachés dans la souffrance et sans aucune reconnaissance humaine ?

On ne peut pas à la fois réclamer que le jeu vidéo soit enfin perçu comme un art, et refuser d’admettre qu’il sera alors, à ce titre, traité comme le reste de la culture. À titre personnel, je rêve d’une vraie politique publique, concertée, de grande ampleur, pour le jeu vidéo. De clarifier enfin le statut juridique de ces œuvres, de définir un régime de droit d’auteur spécifique ; de mieux protéger les salariés et travailleurs du secteur ; d’investir massivement dans la création indépendante et artistique ; de mettre en place des prix, des festivals, un soutien médiatique ; de patrimonialiser les jeux à grande échelle, les faire entrer au musée, dans les bibliothèques, dans les archives, qu’ils soient préservés, conservés, valorisés, partagés par des professionnels.
À la Réunion, le conseil régional propose depuis 2018 des aides à la création de jeu vidéo, poussée par l'association professionnelle Bouftang.
Tout cela ne peut pas arriver dans un monde qui considère que la culture doit être rentable, qu’elle doit justifier de son utilité, et qu’elle doit exister sans aide publique – ou alors, il faut accepter la disparition des festivals, des associations, des tiers-lieux, de tous ces niveaux intermédiaires entre les artistes et les très grandes institutions. Le jeu vidéo est-il un secteur économique comme les autres, ou est-il un secteur culturel à défendre ? La question n’est pas que rhétorique, car elle détermine aussi comment la puissance publique – tant l’État que les collectivités – le perçoivent et le considèrent. Quand on dit que le jeu vidéo est politique, c’est aussi de cela qu’il s’agit : voir ce que le politique fait, ou peut faire, au jeu vidéo. Aux dernières élections régionales, l’abstention n’avait jamais été aussi élevée. Les prochaines seront en 2028.