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Genre : FPS à monde ouvert
Développeur / Éditeur : GSC Game World (Ukraine)
Plateformes dispo : Windows, Xbox Series
Plateforme test : Windows
Téléchargement : 150 Go
Date de sortie : 20/11/2024
Langues : ukrainien sous-titré en français
Prix : 60 €
Comment commencer à parler d'un jeu de l'ampleur de Heart of Chornobyl ? Peut-être en dissipant immédiatement vos craintes : le nouveau GSC Game World est le digne héritier de ses ancêtres. Quatorze années de AAA-isation de l'industrie, un budget gigantesque, l'arrivée sur consoles et l'appui de Microsoft (le jeu est une exclu Xbox et disponible dans le Gamepass) n'y auront rien fait : Stalker reste aussi hardcore qu'il l'a toujours été. Vous allez mourir bêtement après avoir mis les pieds dans une anomalie, vous faire dévorer par des chiens errants parce que vous n'êtes pas parvenu à monter assez vite sur le capot d'une Lada rouillée, vous vider de votre sang derrière une cabane en bois faute d'avoir réussi à panser le trou laissé par une balle de 9mm.

Vous apprendrez vite qu'on ne part pas explorer la Zone sans nourriture ni boissons énergétiques et qu'une rasade de vodka reste le meilleur moyen d'oublier les radiations, mais qu'il convient également de ne jamais emporter plus que le strict nécessaire pour ne pas vous ralentir inutilement — un stalker qui ne peut pas courir est un stalker mort. Vous fouillerez à tâtons dans des entrepôts infâmes avec comme seule musique le crépitement de votre compteur Geiger, vous vous ferez tout petit en distinguant une silhouette au bord d'une route par une nuit sans lune, tenterez en vain de savoir s'il s'agit d'un ami, qui peut-être pourra échanger une boîte de lait en poudre contre quelques cartouches, ou d'un bandit qui va vous allumer dès qu'il vous aura repéré.
Les hommes préfèrent se perdre dans une zone où les pierres volent au-dessus du sol plutôt que d'aller en thérapie.

Irradié de joie

Et surtout, vous allez aimer ça. Peut-être plus que jamais. Car si la vie dans la Zone est rude (et brève, sauvegardez sans cesse), elle est aussi d'une beauté à couper le souffle. Le X-Ray engine de Stalker 1 faisait, pour l'époque, des miracles en termes d'éclairage, cette Zone réinventée à la mode Unreal Engine 5 confine au sublime. Il faut, une fois dans sa vie, avoir vu une anomalie gravitationnelle emporter dans un cyclone les feuilles d'un arbre ou drainer toute l'eau d'un marais pour former une énorme sphère qui lévite trois mètres au-dessus de la boue. Il faut s'arrêter net après avoir distingué, à la lumière de sa lampe frontale, des centaines de particules métalliques en suspension dans l'air, décollées du sol par une anomalie magnétique. Y jeter un écrou, y tirer une balle, qui vont se suspendre à leur tour, comme arrachés au temps.

Il faut s'être retrouvé sous l'orage au milieu d'une forêt et voir les arbres autour de nous frappés un à un par la foudre. Il faut fermer les yeux et passer une minute à écouter l'ambiance sonore du jeu, absolument parfaite, le vent, les grésillements des lignes électriques, le bip des détecteurs d'anomalies, la B.O. faite de nappes de synthé inquiétantes. Dans la Zone, plus que jamais, le monde semble aussi beau, sauvage et incompréhensible qu'il a dû sembler à nos ancêtres hominidés la première fois qu'ils ont tenté de le comprendre, avec trois bouts de cervelle de singe et un brin de pensée magique.

La Zone invite à la liberté, c'est même sa raison d'être.

Il est libre, Max Planck

Aussi beau, et presque aussi vaste. La Zone, dans laquelle aucun véhicule n'est disponible, est d'une taille incommensurable et il vous faudra des dizaines, pour ne pas dire des centaines d'heures avant d'en avoir exploré tous les recoins. Si la quête principale vous donnera l'occasion d'en voir un joli bout, vous aurez probablement vite envie de vous en écarter. Tout d'abord parce que malgré quelques beaux moments, comme la rédemption des fanatiques de Monolith qui naviguent à vue en se demandant comment continuer à vivre quand le sens qu'on avait trouvé à l'existence a disparu, elle ne constitue pas l'aspect le plus intéressant du jeu.

Mais surtout parce qu'explorer sans but et sans fin l'immensité sauvage qui nous entoure, fouiller ce bâtiment distingué au loin, se payer une balade dans la Forêt rousse ou à Prypiat, partir en pèlerinage dans ses souvenirs de 2007 (le Cordon est toujours là et Sidorovich y tient toujours boutique) pour voir comment ils ont été réinventés est bien plus excitant. La Zone, de toute façon, invite à la liberté. C'est même sa raison d'être, comme vous l'expliqueront les autres stalkers croisés au hasard des chemins, qui au lieu de vous raconter leur histoire comme le PNJ moyen, vous parleront de la beauté de la Zone et de la joie pure qu'il y a à exister dans un lieu où l'on peut jouir de ce qui est, n'en déplaise à Anna Gavalda, la seule et vraie liberté : que jamais personne ne vous attende nulle part.

Respectez-vous, svp

De grâce, jouez en VO ukrainienne sous-titrée, sous peine de perdre 90 % du charme des conversations. Les doubleurs anglais ont beau avoir fait un travail honnête, personne n'a envie de se faire appeler « bro » par un type à l'accent britannique au beau milieu de Prypiat.

« Not great, not terrible »

Les habitants de la Zone ne sont d'ailleurs pas seuls à rompre avec les canons du jeu vidéo occidental. Stalker 2, on pouvait s'en douter vu l'historique du studio et les conditions de développement du jeu, coincé entre Covid et invasion russe, est un peu rugueux sur les bords. Disons qu'il s'agit, sur ce point aussi, du digne héritier de la série, parfaite représentante de ce que les Américains qualifient affectueusement d'eurojank : ces jeux, généralement venus d'Europe de l'Est, qui ont tendance à privilégier la profondeur sur les finitions.

Stalker 2 est un curieux mélange de modernité (cinématiques motion-capturées, doublage intégral, production value digne d'un AAA moderne) et de traditions qu'on pensait disparues en nos contrées depuis l'heure de gloire des jeux Bethesda, comme des personnages à moitié coincés dans les murs ou qui se tournent du mauvais côté quand ils vous parlent. Ajoutez à cela des performances assez fluctuantes (sauvegardez et revenez au menu en cas de brusque baisse de frame rate, cela suffit dans 90 % des cas) et quelques retours bureau à l'occasion, et vous comprendrez que les vétérans de Shadow of Chernobyl seront en terrain connu. Mais tout cela n'est au pire pas très grave, au mieux contribue au charme de l'ensemble. Malheureusement, Stalker 2 souffre d'autres problèmes, beaucoup plus gênants qu'une occasionnelle baisse de performances.

Aucun autre jeu ne vous fera ressentir ce sentiment mêlé d'angoisse, de fascination, de désespoir et de liberté que vous connaîtrez, seul au monde, caché au milieu d'une décharge.

L'ombre de l'ombre de Tchernobyl

Pour commencer, il doit faire face à une concurrence déloyale. Qu'on le veuille ou non, en lançant Stalker 2, ce n'est pas à Shadow of Chernobyl ou même à Call of Prypiat qu'on le compare, mais à Anomaly, Gamma et à tous les autres mods géniaux qui, en une décennie de bricolages cumulés, ont transcendé les limites du jeu original. Face à eux, il faut le reconnaître, Stalker 2 semble un peu limité : le loot est très sommaire, l'arsenal et l'équipement aussi. On a rapidement compris que chaque bandit abattu aura sur lui un saucisson, un bandage et les mêmes cinq ou six cartouches en rab pour son arme, que chaque cache comprendra quelques médikits, munitions et bouteilles de vodka – et parfois, de façon exceptionnelle, une armure, un flingue, ou un accessoire pour ledit flingue.

Cela n'est pas un si gros problème – au contraire, le sentiment de rareté contribue beaucoup à l'ambiance et rend chaque découverte intéressante d'autant plus précieuse – mais la chute va être rude pour celles et ceux qui ont pris goût aux AAA récents, avec leur pléthore d'options de loot et de crafting. Il est par ailleurs certain que les moddeurs auront vite fait d'ajouter à Stalker 2 (ils ont d'ailleurs déjà commencé, voir l'encadré « Tricks à la mod de Kyïv ») ce qui lui manque. En attendant, cela rend quand même salement visible le peu de nouveautés apporté par Stalker 2 qui, incapable de s'inspirer des milliers d'idées géniales issues d'une décennie de modding, ressemble par moments davantage à un excellent remaster qu'à une suite à part entière.

On ne va pas se mentir, le gros problème dans la Zone, c'est la bouffe.

Uranium appauvri

Le vrai problème de Stalker 2 n'est toutefois pas tant l'absence de nouveautés que la présence de vraies régressions par rapport aux premiers épisodes. Oubliez les lunettes de vision nocturne, la seule source de lumière dont vous disposerez sera une misérable lampe torche qui éclaire à cinq mètres, choix de design particulièrement gênant dans un jeu où, pour une raison inconnue, le cycle jour-nuit semble sérieusement biaisé en faveur de cette dernière.

Pas non plus de jumelles, accessoire pourtant essentiel des premiers Stalker, qui permettaient non seulement de planifier une attaque mais aussi de profiter de la grande réussite de la série, le socle sur lequel elle était toute entière bâtie : l'écosystème artificiel A-Life, qui régissait la vie des habitants de la Zone comme s'il s'était agi d'un lieu réel. Grimper sur une colline, contempler au loin une patrouille de stalkers aux prises avec une meute de chiens aveugles, voilà le genre d'expériences dont Stalker était fait. Expérience désormais impossible en l'absence de jumelles et, surtout, en l'absence de A-Life. Car malgré les belles promesses des développeurs, et peut-être parce que l'Unreal Engine a pris la place de leur moteur maison, Stalker 2 en semble totalement dépourvu.

À la place, on trouve un système de spawning tout ce qu'il y a de plus classique qui, comme dans un Far Cry, génère ennemis et PNJ dans un certain rayon autour du joueur (rayon si faible qu'il arrive parfois qu'un vilain apparaisse brusquement dans notre champ de vision). Cela n'empêche pas de beaux moments de gameplay émergent : une rencontre avec des bandits qui semblait mal barrée s'est retournée en ma faveur après l'arrivée d'une meute de sangliers, une chasse au mutant est partie en sucette suite à l'arrivée de bandits puis d'un pic d'émissions radioactives qui a obligé tout le monde à faire la paix et à foncer vers l'abri le plus proche. On est tout de même loin du caractère vivant de la Zone des premiers Stalker, où une mission pouvait soudainement être interrompue parce que le donneur de quête venait d'être dévoré par un snork à l'autre bout de la Zone.

Pire, le caractère mécanique de ces spawns vire occasionnellement à l'absurde. Il est rare de pouvoir repérer à l'avance les gardes d'un camp militaire (pour une raison inconnue, les camps de bandits semblent moins affectés) : vu de loin, il semblera le plus souvent vide. Mais une fois à l'intérieur, des ennemis vont se mettre à spawner à la chaîne comme des clowns sortant d'une voiture, à quelques mètres seulement de notre position, aussi longtemps qu'on sera dans le coin. On se surprend à se demander si l'absence de jumelles n'a pas été, pour GSC Game World, un moyen pratique de cacher la misère, à savoir le fait que le monde est entièrement dépeuplé au-delà des environs immédiats du joueur.

Tricks à la mod de Kyïv

Même pas une semaine après la sortie du jeu, Nexus Mods compte déjà près de deux cents mods pour Stalker 2, que vous trouverez à l'adresse nexusmods.com/stalker2heartofchornobyl/mods/

Quelques suggestions :
Even Longer Days : augmente la longueur des jours (plusieurs options sont proposées)
Grok's Modular Mutants Health : atténue le côté « sacs à point de vie » des mutants
Optimized Tweaks S.2 : améliore les performances du jeu (résultats variables selon votre config)
Reasonable Weapon Degradation : ralentit la dégradation des armes, bien utile vu le coût absurde de la moindre réparation

Mal alpha

Interpellés à ce sujet, les développeurs ont confirmé que la génération des ennemis était complètement dans les choux et qu'ils allaient trouver une solution, je cite, « à moyen terme ». Je ne doute pas une seule seconde qu'ils y parviendront, même si l'ajout d'un équivalent du A-Life dans un jeu qui en semble pour l'instant totalement dépourvu est une tâche qui tient plus du relaunch façon No Man's Sky ou Cyberpunk 2077 que du petit patch d'équilibrage. Pour le dire autrement, n'espérez pas ça pour le mois prochain. Mais tôt ou tard, que ce soit par GSC ou par les moddeurs, cela sera corrigé.

Tout comme seront corrigés les quelques choix d'équilibrage discutables, tels ces mutants tellement bourrés de points de vie qu'il est plus rentable de fuir que de les affronter. Ce qui, vous me direz, est peut-être un choix de game design. Si c'est le cas, c'est un choix très mal réalisé : un bloodsucker qu'on préfère fuir en raison du danger qu'il représente est une chose, un bloodsucker qu'on fuit par flemme de devoir encore cramer vingt cartouches de fusil et cinq médikits – et dont on pourra de toute façon neutraliser les attaques simplement en grimpant sur une caisse tant son pathfinding est naze – en est une autre.

La chasse aux artefacts est toujours aussi géniale, en tout cas une fois que vous aurez mis la main sur un détecteur à peu près correct.
Ces défauts sont rendus d'autant plus frustrants par le fait que d'autres mécaniques sont excellemment réalisées, comme le système de discrétion : prendre un groupe de soldats à revers dans une zone ouverte se révèle aussi difficile que satisfaisant, la moindre erreur (faire du bruit en marchant, quitter les herbes hautes pour traverser une route) se payant comptant sous forme de rafales d'AK-74. Il est évident que Stalker 2 aurait eu besoin de quelques mois de développement supplémentaire pour homogénéiser un peu l'ensemble. Il est évident aussi — et c'est plus triste — que si le jeu n'a rien perdu de son caractère hardcore, il a en revanche été quelque peu gamifié. Là où les premiers Stalker tenaient uniquement par la force de la cohérence interne apportée par le A-Life, on sent ici que certains éléments ont été pensés non pas en fonction de leur place naturelle dans l'univers, mais dans une logique de jeu vidéo.

L'omniprésence de ces bloodsuckers indestructibles par exemple, qui passent du statut de mutant quasi légendaire à celui d'épouvantails et de mascotte de la série, qu'il convient donc de croiser le plus souvent possible pour satisfaire le public. La disparition de tout mutant « bénin », également : un écosystème réel a besoin que certaines créatures jouent le rôle de proies, mais un jeu vidéo n'a besoin que de rencontres intéressantes. Ainsi, les passifs fleshs, ces cochons mutants qui étaient là uniquement pour servir de repas aux chiens errants et de témoignages vivants des horreurs que la Zone impose au corps animal, sont devenus des sortes de super-grenouilles capables de vous bondir dessus à vingt mètres de distance. C'est dommage mais c'est ainsi : Stalker 2 est davantage un simple jeu vidéo que ses prédécesseurs. Mais, tout de même, quel jeu.

Le pied d'éléphant dans la pièce

En l'état, et malgré tous ses défauts, Stalker 2 n'a aucun rival. Aucun autre monde ouvert n'arrive à la cheville de cette Zone 2.0, aucun autre FPS ou jeu de survie ne parviendra à vous faire ressentir ce sentiment mêlé d'angoisse, de fascination, de désespoir et de liberté que vous connaîtrez, seul au monde, caché au milieu d'une décharge, entouré de débris flottant au mépris des lois de la gravité, mangeant une vieille conserve de pâté avant de reprendre la route dans un monde dévasté dont chaque mètre carré semble pourtant rempli de promesses et de beauté. Avec les patchs et les mods qui commencent à arriver, nous tenons, sans aucun doute, un futur classique qui sera encore là dans dix ans, un Skyrim radioactif, œuvre collective qui sera perpétuellement améliorée et enrichie par une communauté de passionnés.

La question est donc la suivante : faut-il se plonger dans Stalker 2 aujourd'hui, au risque de tourner de l'œil sous l'effet des vapeurs de peinture fraîche, ou attendre quelques mois qu'il soit devenu un jeu plus propre et mieux fini ? Je ne peux répondre à cette question pour vous. Tout dépend de ce que vous venez chercher dans la Zone qui, on le sait depuis les frères Strougatski, n'est jamais que le miroir de nos désirs. En ce qui me concerne, j'ai désinstallé la plupart des jeux qui encombraient mon SSD. Je sais que demain, si j'ai envie de partir errer pendant une heure, de connaître la peur de la mort ou la joie de vivre, sans but, dans un ailleurs où tout semble possible, je n'aurai pas besoin d'autre chose que de Stalker 2.

Notre avis

L.F. Sébum le 26 novembre 2024

| Modifié le le 26 novembre 2024

Stalker 2 est-il l'un des jeux les plus incroyables, beaux et captivants jamais créés, un monde dans lequel on a envie de se perdre des dizaines d'heures, jusqu'à oublier le reste de sa vie ? Oui. Est-ce un jeu pété, souffrant de nombreux défauts et même de quelques sales régressions par rapport à Shadow of Chernobyl ? Aussi. Cela reste en tout cas un jeu sans équivalent, un chef-d'œuvre à côté duquel, que ce soit aujourd'hui ou dans six mois quand les patchs et les moddeurs auront fait leur office, vous auriez tort de passer.