Il y a quelque chose de fascinant à observer l'évolution des walking simulators (à défaut de meilleur terme) en quelques années. De l'eau a coulé sous les ponts depuis Dear Esther et pourtant, fondamentalement, les règles de base du genre n'ont pas bougé. Côté interactions, ce sont toujours des jeux en vue subjective, sans ou avec très peu d'action ou de puzzles (au contraire des FPS et des jeux à la Portal), où l'on se balade dans un monde rempli de détails (mais vide d'êtres vivants), qui nous renseignent autant sur le récit principal que sur les détails de ses circonstances. Côté récit justement, et c'est là le plus surprenant, on trouve toujours un protagoniste seul, qui ne croise personne d'autre, et qui découvre au cours du jeu un grand mystère (le plus souvent, mais pas toujours, il s'agit pour le protagoniste amnésique de se rendre compte qu'il est responsable d'une tragédie). Dear Esther, The Vanishing of Ethan Carter, Gone Home, Adr1ft, Everybody's Gone to the Rapture, Amnesia : A Machine for Pigs, même Firewatch... tous suivent un récit tourné plus vers le passé que le présent (récemment, seul Virginia proposait enfin une autre approche). What Remains of Edith Finch n'y fait pas non plus exception (son titre annonce d'ailleurs la couleur), mais tente cependant de faire bouger les lignes du côté des interactions.
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What Remains of Edith Finch
Her Story
Une vieille demeure sur la côte, une saga familiale sur plusieurs générations... n'en dites pas plus ! Je me préparais déjà un savoureux plateau repas en me remémorant Le Château des oliviers, Jalna et La Rivière Espérance, mais j'étais loin du compte : pour jouer à What Remains of Edith Finch, on a surtout besoin d'un endroit tranquille où pleurer sans être dérangé.
En plein dans la famille. What Remains of Edith Finch vous fait explorer la demeure des Finch, une famille vivant sur Orcas Island, juste au nord de Seattle, sur la côte ouest des États-Unis. La bâtisse est architecturalement audacieuse, des pièces ayant été ajoutées sur le toit à chaque génération, lui donnant un aspect remarquablement peu stable. Au large, on aperçoit les restes de l'ancienne maison Finch : en émigrant sur l'île, la famille l'avait emportée avec elle, mais un orage l'a fait couler, et avec elle Odin Finch, le patriarche. Celui-ci est enterré dans le cimetière familial, situé entre le bâtiment et la plage. Lequel cimetière est d'ailleurs bien rempli : Edith, le personnage que l'on incarne, est la dernière des Finch. Ses parents, frères, sœurs, oncles et tantes, sont tous morts. Accidents, meurtres, suicides, disparitions, maladie ou vieillesse : tout y passe, et aucun membre de la famille Finch ne parvient à échapper à la grande faucheuse, au point qu'il se murmure qu'une malédiction serait à l'œuvre. Edith, qui sort tout juste de l'adolescence, le sait bien, et c'est pour ça qu'elle se rend sur l'île, pour se souvenir et pour en apprendre plus sur les membres de sa famille, qu'elle n'a pour la plupart jamais connus.
Comme à la maison. Après avoir trouvé comment entrer (par une trappe plutôt que par la porte, un thème récurrent du jeu), Edith s'aventure dans la vieille demeure. Garage, entrée, cuisine, salle à manger, salon... Les pièces principales sont chaleureuses, accueillantes et remplies de livres, mais aussi très neutres. Toutes les chambres sont scellées, mais on trouve rapidement des passages secrets pour y pénétrer. Là, l'ambiance change du tout au tout : chaque chambre affiche une personnalité marquée et semble conçue comme un portrait de son occupant, de ce qu'il faisait, de ce qu'il aimait... Chacune de ces chambres abrite un document sur son occupant (journal, photo...) qui déclenche une saynète où l'on revit la mort du membre de la famille. C'est ici que What Remains of Edith Finch se distingue : tous ces segments proposent d'énormes variations entre eux et par rapport au reste du jeu. Dans l'un on dirigera un chat chassant sa proie, dans un autre un roi en voyage, ou un cerf-volant dans une tempête, une grenouille de bain... Tout ça a l'air mignon, ou en tout cas bénin, mais certains passages peuvent être horribles. Pas au sens où on l'entend aujourd'hui dans le jeu vidéo, avec des monstres et des surprises qui n'en sont pas. Ici, l'horreur est un sentiment (comme dans les nouvelles de Poe ou certains textes de Borges) qui s'infiltre petit à petit, au fur et à mesure que l'on réalise où la scène nous emmène. On sait bien dès le départ que tous ces gens sont décédés, mais ça ne rend pas plus facile de les accompagner jusqu'à la dernière marche.
Faites comme chez vous. Pour autant, l'ambiance de What Remains of Edith Finch n'est jamais plombante. Certes, ça trépasse à gauche et à droite, mais la narration trouve le ton juste entre la représentation (parfois métaphorique, parfois crue) des décès, les remarques d'Edith, qui découvre tout ça en même temps que nous, et l'atmosphère des différentes pièces (pourtant abandonnées) de la maison, souvent joyeuses, pleines de lumières et de jouets. C'est ce qui permet de continuer, de trouver d'autres passages secrets et d'autres chambres, et d'être surpris par chaque nouveau récit.
Par certains côtés, What Remains of Edith Finch se rapproche plus du recueil de nouvelles que du simple récit. Plutôt que d'y chercher les influences de Gone Home (où une jeune fille revient aussi visiter l'immense maison familiale), The Vanishing of Ethan Carter (où la narration s'affiche également à l'écran pendant qu'on explore cimetières et maisons abandonnées) ou Oxenfree (où l'on traite aussi du deuil familial vu par des ados), il faut peut-être voir le jeu de Giant Sparrow comme un successeur à leur précédent titre, The Unfinished Swan, auquelWhat Remains of Edith Finch fait référence explicitement. The Unfinished Swan proposait lui aussi un récit familial découpé en segments avec des formes différentes : on peignait le monde, puis on créait des objets... Mais le jeu souffrait justement de ses trouvailles de gameplay, et hésitait trop souvent entre proposer un Portal-like avec de longs niveaux et raconter en quelques phrases une histoire touchante. What Remains of Edith Finch ne commet pas la même erreur. Ses saynètes peuvent prendre vingt minutes ou trente secondes (le jeu lui-même se termine en moins de deux heures), peu importe, elles durent surtout le temps qu'il faut pour rester efficaces, et ne s'attardent sur une mécanique de jeu que s'il y a une raison narrative pour ça. C'est finalement ce qui fait que What Remains of Edith Finch fonctionne si bien et reste en tête longtemps après qu'on en a visité toutes les chambres.