Bloqué au tutoriel. Je vous mentirais en disant qu’avec Rise to Ruins, ce fut le coup de foudre dès la première seconde. Il est resté des trimestres entiers sur mon disque dur sans que je n’y touche. Ou plus exactement, je le tâtais toutes les deux semaines, et je me disais « non, je n’ai pas le courage pour ça maintenant, c’est l’hiver, il me faut des joies simples ». Mon excuse : ce simulateur de village mâtiné de tower defense est vraiment momoche. C’est du pixel art rétro dénué d’inspiration, saupoudré d’une tonne de particules qui rendent l’écran brouillon. L’interface a un petit fumet de jeu MS-DOS, avec une police de caractères minuscule et des ornements désuets. Le jeu consiste à bâtir des tas de choses pour faire vivre un petit village, mais à chaque fois que vous voulez placer une maisonnette, une ferme ou un charpentier, il faut passer par un menu bien pourri, scroller à la molette, cliquer sur des flèches... J’ai dû entamer dix fois le didacticiel sans trouver l’énergie d’aller jusqu’au bout, espérant que mon rédacteur en chef ne me demanderait jamais d’écrire sur ce jeu. Mais il y a quelques semaines, ce gros cafteur d’Izual, toujours prêt à bien se faire voir par le patronat, a signalé l’existence de Rise to Ruins à toute la rédaction. En précisant que c’était typiquement mon genre de jeu. J’étais fait comme un rat.

Il faut construire le mur. Me voilà donc à devoir enchaîner au forceps mes vingt heures réglementaires de Rise to Ruins. Les yeux picotent. Je me plonge dans cette bouillie de pixels colorés, sur ces grandes cartes générées procéduralement où je place mes bâtiments. La formule est classique : comme dans Banished, les habitants ramassent les ressources qu’on leur désigne (minerai, eau, nourriture, bois, cristaux magiques, etc.) puis les transforment dans des structures spécialisées pour en faire de la nourriture, des munitions, des planches pour la construction et j’en passe. On érige des murs d’enceinte et des tours de défense contre les monstres qui débaroulent la nuit du cimetière d’à côté et tentent de croquer les petits habitants. Comme on joue le rôle d’un dieu, il est possible d’agir plus directement sur le monde, grâce à des sorts spéciaux d’attaque ou d’amélioration. Il y a du city-building, de la gestion, du tower defense, un micropoil de stratégie en temps réel et... ça devient agréable. L’œil s’habitue au look cracra de la carte, les raccourcis clavier rentrent dans les doigts et on finit presque par se sentir à l’aise. Rise to Ruins m’a rappelé mon histoire avec le café sans sucre : j’ai dû me forcer, puis j’y ai pris goût.

Addiction et déshydratation. Après avoir grimpé une courbe d’apprentissage un peu raide cinq ou six heures durant – j’ai vu un paquet de villageois crever de faim, de déshydratation ou brûlés vifs par une bestiole –, les classiques mécanismes qui rendent le genre si addictif se sont mis en branle. Je termine ma muraille de protection au nord, j’installe mes défenses, ensuite j’arrête. Non, j’améliore ma production de bois pour fournir des flèches à mes soldats, ensuite j’arrête. Non, je construis une raffinerie de cristal et je planifie un nouveau quartier avec six maisons pour mes villageois, ensuite j’arrête. Et boum, il est deux heures du mat’, j’ai les yeux rouges, les fesses qui collent au cuir du fauteuil, je suis content. Rise to Ruins est finalement une bonne surprise, et je vous jure que je ne pensais absolument pas écrire ça quand j’ai lancé cette étrange chose pour la première fois. Les heures s’enchaînent, les villageois font des bébés, la cité grossit, on s’attache à tout ce petit peuple pixellisé qui s’active dans cette fourmilière géante. Certes, le look et l’interface de Rise to Ruins n’en font certainement pas un jeu pour toute la famille (à moins d'avoir une famille dysfonctionnelle), mais les obsédés de la planification urbaine trouveront de quoi s’amuser à construire des hectares entiers de bourgades fortifiées.