Quand on a fini, après des jours passés à désespérer puis à paniquer, par trouver le thème de l'édition 2019 du Make Something Horrible, des cris de joie ont retenti dans la rédac. « C'est génial ! J'imagine même pas les trucs qu'ils vont nous pondre avec un sujet pareil ! » Le sujet, rappelons-le, était « inadaptation » : les jeux soumis à notre sévère jugement devaient tous être l'adaptation, si possible toute pétée, d'un film, d'un livre, d'une émission de télé, enfin bref, de n'importe quoi à l'exception d'un autre jeu. Le résultat, on vous le dit avec fierté et des trémolos dans la voix, a dépassé toutes nos espérances.

Pourtant, en six ans d'existence, le Make Something Horrible, la gamejam de jeux pourris de Canard PC, a donné naissance à un paquet de chefs-d’œuvre. Monique hôtesse de caisse (simulateur de caissière), Lorie and the Blind Quest (une petite fille aveugle dirigée en vue subjective), Crashed Bandicoot (un Crash Bandicoot dépressif) ou Pac-Man Miami (un Pac-Man où les pastilles qu'on gobe ont été produites dans la cave de Toto-la-défonce). Et chaque année, le niveau est meilleur que la précédente. Mais là, vous vous êtes dépassés. Car malgré leurs graphismes pourris et leurs bruitages à la bouche – ça fait partie du charme –, vos adaptations du Manifeste du parti communisteNote : 1, de C'est pas sorcier, des Schtroumpfs noirs ou de notre propre émission, proposaient souvent un gameplay qui tenait la route, et parfois même des mécaniques de jeu sacrément originales.

Note 1 : Ça va pas arranger notre réputation.

Merci !

Un grand merci à tous les participants et les participantes : apone, BNicolas, Bob Dupneu, Bofang, Chicordine, Chkropok, clem2k, Cube Bleu, D. Deschamps Magnetiques, DBaBoon, Deluvi, deverdeb, Don Moahskarton, fallen4096, Gaddy, Grhyll, Grrrmbl, guid, Isator, Johan Landry, KGPGames, La Machine Factory, GrmlnsGlx, LeRan, louck, Malimoul, MartinBousquet, MrShibby, niamov, oda, PancarteStudio, pierrecastor, Pollux568, Romain Pierson, roubignolo, RustineMan, Taro et zeralphZerger.

Prix du champion de la victoire : Prosper le purineur : la révolte, par PancarteStudio

Peu de jeux peuvent se targuer de révolutionner un genre. Alors que nous pensions qu'il ne restait rien à inventer en matière de first-person shooter, Prosper le purineur déboule et sublime le concept avec une élégance vertigineuse.

Ce jeu – que dis-je, cette œuvre vidéoludique –, c'est d'abord un scénario engagé, un brûlot politique, une métaphore puissante qui dénonce les dérives de notre société. Prosper, pauvre paysan médiéval qu'on devine analphabète, décide de se révolter contre les nantis et les puissants. Armé de sa fourche à purin, il parcourt les salles d'un château gigantesque rempli de nobles et de leurs sinistres hommes en arme. Ce shoot 3D est immédiatement addictif, rapide, nerveux, faisant passer les moments les plus brutaux de Doom Eternal pour une scène de comédie romantique. Slalomant au milieu de ses ennemis, Prosper virevolte malgré son pied-bot entre les flèches des archers et les lames des gardes. Il noie sous une pluie purificatrice d'excrément animal des gredins dont les visages rappellent étrangement Cyril Hanouna et Thierry Ardisson (dénonçant par là même l'abrutissement des masses prolétaires par cette télévision aux mains des grands groupes capitalistes).

Sans pause, sans temps mort, sans sauvegarde (car c'est un concept petit-bourgeois), Prosper est une infatigable machine à tuer. Son efficacité destructrice s'accroît progressivement grâce à de nouvelles armes high-tech et des pouvoirs spéciaux (pipeau à rat, charge de vache...), hommages directs aux grands classiques du genre comme Dishonored. Et puis il y a cette réalisation. Du grand art ! Des moyens colossaux ! Bump-mapping sur les murs, reflets des torches en temps réel, lumières colorées, c'est du triple-A pur jus. Le tout est sublimé par une bande-son étourdissante d'audace, mélangeant une orchestration avant-gardiste aux samples vocaux d'une célèbre comédie française. Chef-d'œuvre absolu du shit-oriented rogue-like dungeon-crawler, l'épopée subversive de Prosper génère au final plus d'émotions qu'un jeu de David Cage et plus d'interrogations qu'un jeu de Kojima. C'est le Dark Souls du jeu de purin.

ackboo

Prix du moins bon que le premier, mais meilleur que le troisième : À la recherche du temps perdu, le téléfilm, le jeu vidéo, par Cube Bleu

Longtemps, j'ai détesté les point and click. Parfois, à peine la partie lancée, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « C'est quand même un peu chiant, je préférerais un FPS. » Mais tout ça c'est du passé, depuis que j'ai essayé À la recherche du temps perdu, le téléfilm, le jeu vidéo, de Cube Bleu. Comme le nom l'indique, on y incarne Marcel Proust, dont le modèle façon « jeu 3dFX de 1997 » est mis en valeur par une démarche chaloupée de videur de boîte pas encore remis d'une fracture du coccyx. Mais le jeu de Cube Bleu est surtout un admirable point and click, aussi drôle que bien fichu. Comment faire renaître les souvenirs que recèle une madeleine plongée dans la tisane ? Comment convaincre maman de venir vous faire un bisou sur le front alors que ce n'est pas l'heure du coucher ? À la recherche du temps perdu, le téléfilm, le jeu vidéo est tellement absurde que, même lorsqu'on peine à trouver la solution d'une énigme, on se marre trop pour avoir l'impression d'être coincé.

Louis-Ferdinand Sébum

Prix du moins bon que le deuxième, mais vachement bien quand même : Les Misérables Total Destruction, par Gaddy

Il y a des jeux au concept brillant, dont les règles simplettes peuvent être résumées sur une serviette en papier – Les Misérables Total Destruction est de ceux-là. Il est le fruit du cerveau malade de Gaddy, créateur de Dig or Die et de l’infâme shoot 'em up éducatif Star Maths – qui vous contraignait à échapper aux vaisseaux de l’Empire en faisant des additions. Les Misérables Total Destruction ne pourrait pas avoir de titre plus éloquent : il consiste à détruire l’intégralité des mots qui composent le chef-d’œuvre littéraire de Victor Hugo, et qui défilent de plus en plus rapidement sur votre écran. Avec « La chevauchée des Walkyries » en fond sonore, votre seule arme est un pistolet qu’il est possible de booster en tirant sur des mots affichés en rouge, violet, blanc ou bleu, transformant tantôt vos balles en projectiles rebondissants, tantôt en lasers destructeurs. Vos pires ennemis sont des pronoms, des articles indéfinis et des prépositions qui défilent trop vite pour que vous ayez le temps de les dégommer. Mon record actuel plafonne à 6 573 mots lus – et s’accompagne d’une baisse de productivité conséquente au cours de ces sept derniers jours.

Ellen Replay

Prix du disqualifié : Stalingrad, par LeRan

Dès le menu principal, il y avait une fresque dessinée sous Paint à la gloire des soldats soviétiques, un bouton pour changer la langue en russe et une musique héroïque. Contrairement à l'URSS, j'étais conquis. Et encore, il ne s'agissait que du premier écran de Stalingrad. En cliquant sur « Jouer », j'ai été propulsé dans la peau d'un sniper chargé de déquiller du nazi à la dizaine. Je m'y suis attelé avec joie. À force de cliquer sur les soldats ennemis avec adresse, j'ai même été promu, ce qui m'a donné de nouvelles capacités, comme celle d'appeler un tank en renfort. J'aurais pu m'arrêter rapidement, mais non, mû par une frénésie meurtrière j'ai continué à cliquer sur les nazis, à cliquer, cliquer, cliquer, à enchaîner les promotions et à ordonner des frappes aériennes. Tout cet enthousiasme, ça m'a mis la puce à l'oreille. Après avoir mûrement réfléchi, je suis arrivé à un verdict accablant : Stalingrad est... un bon jeu. On conseille à LeRan de ne pas s'arrêter aux pastiches de la propagande soviétique la prochaine fois s'il veut que son travail mérite l'appellation de « vraie merde pourlingue ». On compte sur lui, car on sait qu'il en est tout à fait capable, on devine que c’est marqué sur ses bulletins scolaires depuis toujours.

Izual

Prix de l'obsédé textuel : Canard PC L'Émission Le Jeu, par zeralphZerger

Avec son fond noir, son texte blanc et ses photos passées dans une moulinette qui rappelle les plus belles heures de l'Amiga, Canard PC L'Émission Le Jeu envoie du rêve. Voire du bon gros fantasme lorsque ce jeu d'aventure textuel démarre en trombe, en décrivant notre bien-aimé ackboo comme un gros crasseux à peine capable de se prendre en main. Pire encore, « booboo », comme on le surnomme dans les quartiers chics du Val-de-Marne, est en retard pour animer l'émission de Canard PC et vous allez devoir lui venir en aide, en tapant des mots qui feront progresser l'histoire comme « répondre » pour décrocher le téléphone. Si on m'avait dit qu'un jour j'allais devoir expliquer clairement le principe d'un jeu d'aventure textuel... Quoi qu'il en soit, Canard PC L'Émission Le Jeu a beaucoup plu à celui qui refuse de sortir de chez lui sans s'oindre d'une « petite eau de Cologne chinée au rayon parfumerie de mon Monop' » et qui n'arrive jamais sans imposer son « quart d'heure de politesse, ben quoi, vous ne faites pas ça chez les gueux de la petite banlieue ? ».

Kahn Lusth

Prix du jeu à message : Super Tovarich, par RustineMan

Super Tovarich, quand il vous met dans les bottes de l’ouvrier Eugène, ne vous demande pas de faire simplement preuve de dextérité, à la manière d’un vulgaire Super Mario. Non, Eugène agit pour une cause, un but plus grand que lui et le joueur : l’émergence d’un véritable communisme universel et libérateur. Pour continuer la lutte, il faudra bien sûr récolter quelques pièces, au moins tant que la propriété privée n’aura pas été abolie, mais l’argent de la cause ne servira qu’à la cause, c’est-à-dire la libération des prolétaires de tous les pays. L’idée de faire perdre le joueur quand il amasse trop de pièces, parce qu’il se retrouve subitement du côté du Capital, est tellement brillante qu’on se demande comment personne ne l’a eue avant. Un dernier mot sur la bande-son, à laquelle les images ne rendent pas hommage : la reprise à la flûte de L’Internationale est un sucre pour les oreilles.

Noël Malware

Prix du meilleur désespoir : Titanic, par guid

Un ciel bleu constellé d'étoiles, une mer couleur de l'encre, un bateau insubmersible et quelques icebergs immaculés. Titanic n'a pas besoin de davantage d'ingrédients pour raconter, en 30 secondes, bien plus de choses que tous ces jeux de 40 heures avec trois millions de lignes de dialogues. Le principe est pourtant simple : il s'agit, aux commandes du Titanic, d'esquiver des icebergs en glissant sur les eaux noires de l'océan. Une tâche facile, fluide, qui dure juste assez longtemps pour que naisse en nous l’espoir de voir le Titanic arriver à bon port. Et puis un bloc de glace plus gros que les autres survient : c'est le funeste iceberg qu'on redoutait, un gigantesque monstre qui prend toute la largeur de l'écran et auquel il est donc impossible d'échapper. Il y a un choc, et puis deux mots : « Game Over ». Une façon de nous rappeler que la vie n'a pas de sens, que la mort est inéluctable, que dans chacune de nos existences il y a un iceberg et qu'on ne pourra pas l'esquiver indéfiniment. Une fable magistrale et lourde de sens, dont Noël Malware ne doit jamais apprendre l'existence, le pauvre...

Izual

Prix de l’adaptation : Black Shmurfs Attack, par Malimoul

Comme l’album de Peyo, l’adaptation réalisée par Malimoul de la première aventure des Schtroumpfs a fait beaucoup parler à la rédac. Faut-il y voir un message raciste, ou une simple adaptation, parfaitement fidèle, de l’œuvre originale ? C’est cette dernière interprétation que nous avons choisi de suivre, en reprenant à notre compte les exégèses de l’œuvre de Peyo (car il y en a) qui voient, dans Les Schtroumpfs noirs, l’une des premières interprétations modernes du mythe du zombie. Toujours est-il que, comme dans la BD, le village des Schtroumpfs est envahi par un curieux virus qui pousse les habitants à se mordre afin de transmettre la maladie. 2019 oblige, il y a ici une petite subtilité dans la manière de traiter le mal par le mal, mais nous ne dévoilerons pas toutes les ficelles de l’intrigue pour vous laisser la surprise. En tout cas, le jeu brille de mille feux par sa direction artistique à mi-chemin entre l’œuvre d’art et le vomi.

Noël Malware

Prix des jeux qu'on n'a pas réussi à lancer : Twitch Chat Battle, par louck / Make Something Horrible 2019 Simulator 2020, par D. Deschamps Magnetiques

C'est pas qu'on y met de la mauvaise volonté, mais il arrive parfois qu'un jeu refuse de se lancer. On a pourtant tout essayé : coups de lattes dans la tour, claques sur l'écran, appels de détresse à notre pote marabouteur connu sous le pseudonyme de Fishbone... Rien à faire. Ces deux jeux ont purement et simplement refusé de fonctionner pour une raison qui doit osciller entre l’œuvre du malin et le bon gros bug des familles. Pourtant, Twitch Chat Battle semblait prometteur, en proposant d’affronter les utilisateurs du célèbre site de streaming à grands coups d'invectives. Make Something Horrible 2019 Simulator 2020, lui, a éveillé nos plus bas instincts narcissiques en promettant lui aussi du stream, mais dans une sorte de simulation super zarbi où le chat se déchaîne et balance tout un tas de phrases amusantes, pendant qu'on essaye de streamer peinard sur des jeux du Make Something Horrible dans une sorte de mise en abyme sans fin. Voilà qui mérite bien deux médailles de l'esprit.

Kahn Lusth