« Tout jeu terminé est un miracle », dit l'adage, dont toute personne qui a un jour installé Unity pour tenter de réaliser ce projet qui lui trottait en tête depuis des mois a pu constater la part de vérité. C'est ainsi : entre jeux indés jamais achevés et AAA interrompus, parfois après des années de développement, parce que l'éditeur a changé d'avis, l'histoire du jeu vidéo n'est qu'un vaste cimetière.
Pour savoir si un poisson est frais, c'est connu, il suffit d'en donner un bout à un chat : s'il fonce dessus, tout va bien. S'il renâcle, il faut le jeter. C'est pourquoi, lorsque le nom de Two Point Campus a été évoqué en conférence de rédaction et qu'ackboo, pourtant du genre à se ruer sur n'importe quel builder, a plissé le nez et dit « mmhhh non, prenez-le », j'aurais dû me douter de quelque chose.
Demandez à n'importe quelle rockstar de votre entourage : le plus difficile, ce n'est pas d'écrire un album qui va finir en haut des hit-parades. Le plus difficile, c'est d'écrire l'album suivant. Après le succès monumental de Wolfenstein 3D, qui a fait d'id Software la star absolue du développement PC, le studio est attendu au tournant et, fidèle à ses ambitions démesurées, ne veut pas se contenter de faire aussi bien. Leur but, une fois encore, est de créer l'impossible.
Si vous me dites que vous n'avez jamais eu Doom sur votre PC, je ne vous croirai pas. Si en revanche vous me dites que vous n'avez jamais acheté Doom, je vous croirai peut-être. Depuis 1993, Doom fait partie de ces machins qui traînent sur nos vieux disques durs pétés et sur des CD donnés par un pote qui vous filait des jeux piratés en 1998 et que vous avez depuis perdu de vue (c'est normal, il est devenu drogué, le piratage c'est mal). C'est dommage, parce qu'avoir une version légale de Doom dans sa ludothèque est bien pratique pour récupérer en deux clics les fichiers nécessaires quand on veut tester un nouveau pack de niveaux téléchargé sur Internet.
Le 1er juin 2000, John Carmack poste sur Internet une note détaillant ses dernières réflexions et ses projets pour les mois à venir – un de ses « plans » comme il les appelle, sans doute pour ne pas utiliser le mot « blog ». Rien de très original : Carmack publie régulièrement ses notes, qui sont suivies avec intérêt par ses fans et la communauté des développeurs de jeux. Mais celle-ci va faire l’effet d’une bombe : on y apprend qu'un remake de Doom est dans les tuyaux et que le projet, encore en préproduction, a déjà failli faire exploser id Software.
Depuis le passage de Doom sous licence open source en 1997 (voir « les source ports »), faire tourner Doom sur le plus de plateformes possible est devenu à la fois un challenge et une private joke de développeurs. Comme de plus, loi de Moore oblige, les spécifications techniques d'un PC de jeu de 1993 (4 Mo de RAM, CPU à 33 MHz) sont aujourd'hui celles du panneau de commande de l'ascenseur moyen, des milliers de processeurs partout autour de nous ne demandent qu'à être transformés en machines à massacrer des imps. Petit florilège.
Jeu entièrement auto-édité, distribué en shareware, Doom n'a bénéficié d'aucune publicité. Mais quelques semaines après sa sortie, alors que les premières critiques dithyrambiques de la presse spécialisée paraissent à peine, le jeu rapporte déjà 100 000 dollars par jour à ses créateurs. Les réseaux informatiques des facs et des entreprises sont saturés par les paquets IPX générés par les parties de deathmatch. C'est comme si le monde entier, d'une seule voix, s'était mis à fredonner les premiers accords du légendaire « At Doom's Gate », qui accueille le joueur au début du premier niveau.
Nous sommes en 2012, et id Software n'est plus que l'ombre de lui-même. Bon, peut-être pas, mais il n'a en tout cas plus le statut quasi mythique qui était le sien au début des années 2000. Rage, son dernier jeu, a été accueilli de façon tiède. Pire, pour la première fois, la nouvelle lubie technologique de John Carmack, la « mégatexture » (utiliser une seule texture pour couvrir un niveau entier sans répétitions), ressemble plus à un gadget qu'à une révolution.
Le succès de Wolfenstein 3D a pris id Software de court. Personne dans l'équipe n'avait imaginé qu'un jeu vendu directement en shareware pouvait rapporter 100 000 dollars (de 1993, soit près de 200 000 dollars de 2021) par mois. Mais il n'y a pas qu'avec leurs portefeuilles que les joueurs de Wolf ont surpris id. Des versions modifiées du jeu ont commencé à apparaître, donnant à John Carmack une idée révolutionnaire pour son prochain titre.