Au début, tout va très vite : vous entrez dans un tripot, jouez au poker, misez tout et perdez contre un adversaire à tête de loupNote : 1 qui se révèle être le diable. Vous voici âme damnée, squelette à baluchon condamné à errer à travers les États-Unis d'Amérique, de ville en ville, à travers champs et montagnes, à la recherche d'histoires du pays à rapporter au diable, pour trouver une illusoire terre promise « où l'eau a le goût du vin ». Ça, ce n'est que la surface, mais c'est peut-être la partie la moins intéressante de Where the water tastes like wine. Car en marchant, vous trouverez certes d'innombrables historiettes, mais vous croiserez aussi d'autres vagabonds, chacun avec sa propre personnalité, chacun racontant un morceau de l'Amérique, chacun avec son propre rêve américain, sa propre terre promise. C'est là que WTW se révèle. Le jeu adopte une structure de poupées russes à la fois imbriquées et infinies : votre histoire, c'est celle de votre errance et de vos rencontres avec d'autres marginaux, dont les récits sont alimentés par les histoires que vous leur racontez, elles-mêmes découvertes puis enjolivées au cours de votre errance.
Note 1 : Et qui a la voix de Sting, le chanteur. C'est ballot parce que c'est le moins bon de tous les acteurs regroupés pour l'excellent doublage du jeu.
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Where the water tastes like wine
Cocagne, ne vois-tu rien venir ?
Si on le résume à ses mécaniques, considérées de façon abstraite, Where the water tastes like wine (WTW) est un jeu de survie en monde ouvert avec du deck-building. Si cette description titille votre imaginaire, calmez-vous tout de suite : il y a de grandes chances que le jeu soit l'exact opposé de ce à quoi vous vous attendez. Car WTW est avant tout un melting pot de morceaux qui ne fonctionnent pas forcément très bien ensemble, assemblés dans le seul but de dresser un portrait triste mais sincère des États-Unis, cet autre grand melting pot de cultures.
La marche lente du squelette damné sert aussi d'espace de réflexion au joueur.
Tour de fable. Après un début un peu austère (le jeu explique assez mal, et parfois pas du tout, ses mécaniques, et il vous faudra peut-être un temps d'adaptation pour accepter la direction artistique originale du monde ouvert représentant les États-Unis), WTW prend vie quand on commence à récolter des récits, d'abord très classiques (de la contrebande de gnôle, des malheureux à la rue durant les années 1930, quelques légendes urbaines...) puis de plus en plus bizarres et fantastiques, surtout quand on les raconte aux premiers vagabonds rencontrés. Leur réaction, la façon dont chaque chronique transforme la conversation et donne de la profondeur au personnage, voilà ce qui donne envie de poursuivre la route, de se plonger dans cet océan d'histoires qui se croisent et se mélangent. Dans les premiers moments, on suit bien les routes, les lignes de chemin de fer, on trace une voie vers les campements où nous attendent des voyageurs. Et puis bientôt, on erre simplement à travers la campagne, car la marche lente du squelette damné sert aussi d'espace de réflexion au joueur, pour se remémorer les incroyables anecdotes ou les tristes fables qu'il vient de découvrir.
Pour continuer l'aventure Si les textes de Where the water tastes like wine vous ont donné le goût de l'Amérique rurale ou bizarre, du fantastique durant le Dust Bowl et du Southern gothic, quelques suggestions à lire ou à regarder : Méridien de sang de Cormac McCarthy, Le Monstre des Hawkline de Richard Brautigan, Vente à la criée du lot 49 et Mason & Dixon de Thomas Pynchon, la série HBO La Caravane de l'étrange, ou encore le film Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin.
Marche et rêve. Ce n'est pas un hasard si le créateur principal de WTW était aussi le programmeur de Gone Home : il sait bien que la marche, activité solitaire, laisse le champ libre à l'imaginaire du joueur. Ici, comme dans les voyages sur le bitume de Kentucky Route Zero, autre jeu sur l'Amérique profonde et bizarre, le voyage est opportuniste : on aperçoit une maison au loin qui héberge un récit, la silhouette d'une ville se découpe à l'horizon, une voiture vous prend en stop, un train se dirige vers l'autre côte du continent... alors on y va, pour voir. Inutile de faire un plan de route, on se fera de toute façon balader au gré des rencontres. Et à chaque fois, ce sera l'occasion de recueillir de nouvelles aventures. Il y en a un peu plus de 200 au total (écrites, comme les seize vagabonds, par la fine fleur de la fiction interactive anglophone : Emily Short, Kevin Snow, Cat Manning, Bruno Dias, Olivia Wood et bien d'autres), toutes illustrées avec un superbe coup de crayon, toutes fort bien traduites en français. La plupart sont, au moins au départ, à peu près réalistes, mais plus vous progressez, plus vos histoires évoluent (la première fois qu'on vous raconte une version alternative d'un de vos propres mythes, ça surprend), au point que certaines deviendront trop incroyables pour être racontées.
Ramasse-mythes. Ces histoires qu'on accumule servent (car il y a tout de même un but dans WTW, on ne fait pas que se balader au petit bonheur la chance en s'abreuvant de merveilleux textes racontés par un narrateur à la voix délicieusement rocailleuse) à faire progresser vos relations avec les vagabonds à chaque rencontre. Ou, en termes de jeu vidéo : les cartes de votre deck permettent de faire leveller vos compagnons. Jusqu'à ce qu'ils atteignent le niveau maximum et que leur histoire, souvent tragique, se termine. Les histoires de ces marginaux, contrairement aux deux cents autres, ne versent jamais dans le bizarre ou le fantastique, mais racontent en filigrane la diversité souvent invisible de l'Amérique : immigrée mexicaine, mineur, porteur noir, Indienne navajo, blondinet en fuite, poète beat sur la route, vétéran amputé... Une fois un personnage rencontré, impossible de ne pas vouloir le suivre jusqu'au bout, et c'est en partie ce qui rend WTW si attachant. Quel dommage du coup qu'il soit rempli de problèmes de finition plus ou moins petits (une bande originale superbe mais dont les morceaux changent abruptement quand on passe d'un État à un autre, un jeu qui saccade parfois énormément alors qu'il n'affiche pas grand-chose, une interface contre-intuitive...) qui peuvent faire ronchonner. Et pourtant, malgré les aléas on continue, car c'est si bien écrit qu'on s'en voudrait de rater un personnage ou une histoire.