L.F. Sébum
le 19 septembre 2022
| Modifié le le 7 mai 2024
À quoi pensez-vous lorsqu'on vous dit « point & click LucasArts » ? À leur traditionnelle palette de verbes en bas d'écran dans laquelle choisir une action ? À des histoires légères pleines de gags absurdes ? À leurs graphismes cartoon ? En une poignée de jeux, la « LucasArts touch » a posé les jalons de ce que devait être un jeu d'aventure, pour le meilleur et pour le pire.
C'est presque par hasard que le tout jeune studio LucasArts, qui s'appelait alors encore Lucasfilm Games, s'est lancé dans le jeu d'aventure en 1986. George Lucas, producteur du film Labyrinth de Jim Henson (vous savez, ce machin complètement foutraque avec David Bowie et Jennifer Connelly), s'est dit qu'il serait chouette de sortir un jeu en même temps que le film. Bien décidée à ne pas pondre un simple goodie promotionnel, l'équipe contacte Douglas Adams (oui, le Douglas Adams) et lui demande de contribuer à l'écriture d'un scénario se déroulant certes dans le même univers que le film, mais totalement original. Pendant ce temps, le game designer David Fox, qui sera plus tard l'un des comparses de Ron Gilbert, invente le concept de « word wheel », sorte de menu déroulant permettant de choisir un verbe et un complément pour définir l'action à accomplir (par exemple « ouvrir porte »), rompant avec les traditionnelles interfaces textuelles qui nécessitaient de tout taper comme un vulgaire dactylo.
Car à cette époque, le jeu d'aventure est encore essentiellement textuel et Labyrinth constitue une petite révolution. Son scénario, que n'auraient renié ni Julio Cortázar ni les scénaristes de Last Action Hero, est d'ailleurs emblématique de la période : Labyrinth s'ouvre sur un jeu d'aventure textuel classique dont le protagoniste se rend dans une salle de cinéma pour voir Labyrinth, le film. Sitôt le film commencé, il ou elle est aspiré(e) par l'écran et le mode texte laisse place à l'interface graphique imaginée par Fox. Le succès du jeu est immédiat, dépassant même celui du film (qui, il faut le reconnaître, est quand même très foutraque) aux États-Unis. Pour Lucasfilm Games, une vocation est née.
SCUMM : un ouragan.
Elle se concrétisera l'année suivante avant Maniac Mansion, qui inaugure le moteur SCUMM (Script Creation Utility for Maniac Mansion). Conçu par Ron Gilbert, il permet la création rapide des scènes d'un jeu d'aventure graphique et repose sur l'interface qui deviendra la norme dans les jeux LucasArts : une liste de verbes d'action, que le joueur choisit d'un clic avant de sélectionner l'objet qui fera office de complément, ou bien en cliquant sur ce dernier directement dans la scène du jeu ou bien dans l'inventaire affiché en bas de l'écran. L'élégance du système, associée à l'histoire complètement déjantée de Maniac Mansion (une bande d'adolescents partis à la recherche d'une amie disparue dans le manoir d'un savant fou), pose les bases des aventures graphiques LucasArts.Si le niveau de détail graphique s'affinera de jeu en jeu, le moteur SCUMM traversera la totalité des années 1990 puisqu'il fallut attendre 1998 et Grim Fandango pour qu'il soit remplacé par le GrimE, capable d'afficher des graphismes 3D. Ainsi, durant toute la décennie, tandis que le reste du monde PC, sous l'influence des jeux d'action et des FPS assoiffés de gore et de photoréalisme, devient de plus en plus « adulte » et sombre, le jeu d'aventure selon LucasArts continue de se distinguer par son absence de sérieux et sa direction artistique colorée. De Zak McKraken (1988) à Full Throttle (1995), en passant bien sûr par Monkey Island 1 et 2 (1990 et 1991) et Day of the Tentacle (1993), il deviendra même la norme de ce que doit être un point & click, dont tout écart sera remarqué. Il n'est pas rare de voir des jeux comme les Police Quest de Sierra ou le Prisoner of Ice d'Infogrames décrits comme « plus sérieux qu'un LucasArts » dans les tests de l'époque. En matière de narration autant que de graphismes ou d'interface, LucasArts est devenu un mètre étalon.
Cartoon plein.
À tel point que le studio, réputé pour son goût de l'innovation – Labyrinth en est d'ailleurs l'une des plus belles preuves –, finit par s'y retrouver un peu coincé. Dès 1990, le studio tente de s'éloigner de sa formule avec Loom, dans lequel verbes d'action et inventaire laissent place à une portée de notes de musique, dont chaque combinaison, jouée par le protagoniste sur son instrument magique, a un effet différent sur le monde. Si le jeu est acclamé par la critique, les chiffres de ventes sont médiocres, surtout comparés à ceux de The Secret of Monkey Island, sorti la même année. De quoi refroidir LucasArts qui, à l'exception du très sérieux Indiana Jones and the Fate of Atlantis de 1992 (bourré de références à l'histoire ancienne et à la mythologie et dont le scénario, écrit par Hal Barwood et Noah Falstein, a tellement plu aux fans qu'ils ont longtemps rêvé d'une adaptation filmique), ne s'éloignera plus guère de sa formule « histoire rigolote + univers cartoonesque » jusqu'en 1995.Cette année voit la sortie de deux jeux d'aventure LucasArts. Le premier, Full Throttle, est l'épitomé de la formule du studio : un pur dessin animé interactif dans lequel, lui reprocheront certains critiques, les gags sont souvent plus intéressants que les énigmes. Le second, The Dig, est tout le contraire. Un jeu d'aventure exigeant, à l'atmosphère sombre, dont le sujet, s'il relève de la science-fiction (de la technologie alien trouvée dans les entrailles d'un astéroïde fonce vers la Terre), est traité de façon très sérieuse – Alan Dean Foster, auteur de SF réputé, sera d'ailleurs en charge de la novélisation.
Résultat : un accueil critique mitigé, le jeu étant jugé trop difficile et complexe. Plus grave, malgré des ventes correctes, The Dig a été considéré comme un échec commercial par les huiles de LucasArts, qui attendaient un plus grand succès de la part d'un jeu dont le coût de production dépassait de loin celui de leurs titres précédents. Grim Fandango, dernier jeu original du studio, connaîtra le même destin dans les magasins, malgré des critiques dithyrambiques.
Résultat : un accueil critique mitigé, le jeu étant jugé trop difficile et complexe. Plus grave, malgré des ventes correctes, The Dig a été considéré comme un échec commercial par les huiles de LucasArts, qui attendaient un plus grand succès de la part d'un jeu dont le coût de production dépassait de loin celui de leurs titres précédents. Grim Fandango, dernier jeu original du studio, connaîtra le même destin dans les magasins, malgré des critiques dithyrambiques.
Les derniers jeux d'aventure de LucasArts, devenu très frileux, seront ainsi des Monkey Island avec The Curse of Monkey Island en 1997 et Escape from Monkey Island en 2000. Et plus de vingt ans plus tard, c'est encore un Monkey Island qui suscite l'impatience de fans qui, on l'a vu lors de l'annonce du nouveau style graphique, redoutent toujours autant tout écart à leur formule préférée.