Quelques semaines seulement avant que nous ne ramassions tous une grosse gueule de bois post-millenniale, une poignée de développeurs nippons commence à mettre des coups de pied dans la grande fourmilière du J-RPG. Alors que la plupart des titres se pressent au portillon pour copier la recette des Final Fantasy, de plus en plus appréciés en Occident, quelques studios (dont Squaresoft, je vous laisse apprécier l'ironie) décident de changer la donne avec des titres brillants comme Valkyrie Profile et Chrono Cross. Au-delà de leurs univers originaux et enjôleurs ou de leurs mécaniques surprenantes et profondes, ces deux J-RPG majeurs s'affranchissent des combats aléatoires, une vilaine épidémie qui se propageait comme de la mauvaise herbe dans les titres du genre depuis quelque temps – bon, il y a évidemment quelques contre-exemples comme Chrono Trigger mais arrêtez de m'embêter. Probablement mû par un insatiable désir de ne pas casser les roustons des joueurs de 2017, Airship Syndicate (un studio monté par d'anciens développeurs de Darksiders, dont le dessinateur de comics Joe Madureira) semble s'être inspiré de cette époque bénie pour son Battle Chasers : Nightwar.
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Battle Chasers : Nightwar
Fanal Fantasy
Bien que la nostalgie soit un vilain défaut, il m'est difficile de ne pas penser que tout était plus simple au début des années 2000. Certes, je n'avais pas de déclarations d'impôts à remplir ou de loyer à payer mais ça n'est pas tout. Le monde semblait plus paisible, nos préoccupations plus frivoles, et on était loin d'imaginer que la Troisième Guerre mondiale démarrerait parce que deux chefs d'État mentalement instables se mesureraient le kiki sur les réseaux sociaux. Mais surtout, le début des années 2000 était plus simple parce que le RPG japonais avait enfin compris qu'il devait se débarrasser de ses saloperies de combats aléatoires.
Comics de situation. Tiré du comics Battle Chasers (dessiné et scénarisé par Madureira lui-même – ce qui a dû grandement faciliter l'acquisition des droits), Nightwar est un RPG à l'ancienne qui, dans la démo que nous avons eue entre les mains, nous place à la tête d'une équipe de trois personnages distincts. Il y a Garrison, le combattant à grosse épée, Gully, la fillette qui trimbale gantelets de guerre et pouvoirs magiques ainsi que Calibretto, le golem qui jongle entre sulfateuse et sorts de soin. Tout ce beau monde se retrouve donc sur une grande carte qui permet d'accéder aux villages afin de faire le plein de missions et d'objets, mais également de se jeter dans des donjons qui, petite originalité, laissent le joueur choisir la difficulté avant qu'il ne s'y engouffre. Une fois plongé en territoire ennemi, l'angle de vue change au profit d'une caméra isométrique qui n'est pas sans rappeler Diablo et c'est à vous de fouiller tous les recoins du donjon pour trouver des objets (et confectionner une tonne d'équipements sur la table à crafting que vous y dénicherez) et, plus important, vous castagner.
Retour de baston. Je vous en parlais en introduction, nous y sommes. Dieu merci, les combats de Battle Chasers : Nightwar ne sont pas aléatoires. Si un ennemi vous voit dans les travées d'un donjon, il va se jeter sur vous et démarrer le combat. Plus amusant, les ennemis proches les uns des autres se « liguent » et, si l'un d'entre eux vous attaque, c'est tout le petit groupe qui vous tombera sur le râble. Bien que les bastons se déroulent dans un environnement familier – vos trois héros à gauche de l'écran et les ennemis qui leur font face –, quelques petites idées ajoutent beaucoup de stratégie et de tactique aux affrontements. Avant tout, chaque coup porté par un personnage met un certain temps à se lancer. Une attaque classique sera instantanée mais magies et autres coups plus puissants peuvent nécessiter une préparation plus longue. Indiquée aussi bien à côté de chaque attaque que sur une frise qui résume l'ordre des actions de chaque combattant, cette « durée d'échauffement » doit être scrupuleusement calculée pour éviter de grosses déconvenues. Imaginez : tout fier de cracher la mort sur vos adversaires, vous vous emballez et validez une attaque surpuissante sans vous rendre compte qu'elle demande un sacré temps de préparation avant de partir. Eh bien, votre pauvre héros aura le loisir de se faire dérouiller par la totalité de l'équipe adverse et risquera de crever avant même que n'arrive son tour. Il convient donc de panacher les coups rapides avec des offensives plus lourdes, tout en gardant constamment un œil sur la file d'attente.
Curryburst. L'autre idée originale et réussie des combats de Battle Chasers : Nightwar se cache dans une petite jauge orange dissimulée en bas à gauche de votre écran. Certaines actions (généralement les coups les plus faibles) permettent de remplir le compteur de burst. Chacun de vos héros possède des magies surpuissantes qui ne tapent ni dans les points de magie ni dans les points de vie mais dans cette réserve de burst commune à tous vos personnages. Vu qu'il augmente lentement mais sûrement et qu'il ne se vide pas entre les combats, le burst devient une ressource essentielle à gérer avec parcimonie. Faut-il jalousement garder toute la jauge pleine en prévision d'un gros boss à venir ou bien peut-on se permettre d'en utiliser une portion ici ou là, au risque de se retrouver à sec au moment le plus crucial ? Tout comme le temps de préparation des attaques évoqué plus haut, le burst ajoute de nombreux micro-dilemmes dans chaque combat et, même si on est loin de la finesse d'un Divinity : Original Sin, les bastons y gagnent en profondeur.
Guerre promise. Après une quarantaine de minutes de jeu, une quinzaine de combats et un méchant boss qui a failli ruiner mon équipe, je dois avouer que Battle Chasers : Nightwar me fait sacrément envie. Joli comme tout et coloré avec soin, il m'a invité à explorer un donjon convenu mais pas désagréable et à batailler contre des ennemis variés et parfois même originaux. Bon, il ne s'agit là que de l'une des premières zones du jeu et l'on peut quand même espérer que les prochains environnements bénéficieront d'un level design un peu plus vicelard et que les combats, aussi intéressants soient-ils, ne tombent pas dans une certaine répétitivité. Croisons aussi les doigts pour que le crafting, pas vraiment exploité dans cette démo, ne devienne pas une tâche obligatoire et fastidieuse dans la version finale, vu à quel point le studio communique dessus. En attendant, Battle Chasers : Nightwar pourrait bien devenir une jolie réussite, autant sur la forme que sur le fond. Ne reste plus qu'à voir s'il arrivera à réveiller l'enfant d'une quinzaine d'années qui sommeille en moi ; celui qui, entouré de paquets de biscuits éventrés, jouait à Chrono Cross sur un écran CRT jusqu'à cinq heures du matin en essayant de ne pas réveiller maman.
