Tout a commencé en début d'année 2016, avec les bides de Battleborn, Mirror's Edge : Catalyst et Homefront : The Revolution. Même un peu avant, avec les ventes légèrement en retrait de Hitman et de Far Cry Primal. À l'époque, les excuses ne manquaient pas : Battleborn était sorti en même temps qu'Overwatch, Homefront 2 n'intéressait personne, Hitman avait un modèle économique différent, Mirror's Edge 2 ratait pas mal sa cible, Far Cry Primal était un plus petit jeu que les autres de la série... En parallèle, les autres grosses sorties cartonnaient comme prévu, voire mieux que prévu : Overwatch, Total War :Warhammer, Dark Souls 3, The Division, XCOM 2, Doom... même quelques gros indés (Firewatch, The Culling, Enter the Gungeon, Stardew Valley, Superhot, No Man's Sky, Dead by Daylight) ont réalisé d'excellentes ventes. Bref, des performances globales sûrement décevantes pour les éditeurs concernés, mais pas encore de quoi s'alarmer. Et puis le deuxième semestre est arrivé, et là, tout d'un coup, tout le monde est devenu sérieux. En quelques mois, ce sont presque tous les AAA qui se sont plantés ou ont connu des ventes bien moins éclatantes que prévu, à commencer par les nouveaux Call of Duty (très en dessous des chiffres de Black Ops 3 l'année précédente, mais rassurez-vous, Activision a encore de la marge avant d'arrêter de gagner de l'argent dessus) et Titanfall, mais aussi Mafia 3, Watch Dogs 2, Dishonored 2, Deus Ex : Mankind Divided, Gears of War 4, Steep, Skylanders, Quantum Break... Une hécatombe.
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AAApocalypse
Quand même les plus gros jeux ne se vendent plus
Le Brexit, Donald Trump, les disparitions de David Bowie, Leonard Cohen, George Michael et Carrie Fisher, le réchauffement climatique, l'échec commercial des jeux VR, le film Assassin's Creed, la sortie de 5 245 jeux dans Steam, J'ai embrassé un flic de Renaud... 2016 ne nous aura vraiment rien épargné. Et voilà maintenant qu'on apprend que la plupart des blockbusters du jeu vidéo se sont beaucoup moins bien vendus que prévu ? Décidément, il n'y a plus rien de sacré.
Le jeu AAA : un produit conçu pour plaire au plus grand nombre et au budget faramineux.
AAquoi ? Avant tout, il convient de définir ce qu'est un jeu AAA : ce que ça signifie, ce que ça représente, quelles attentes cela peut créer. Un AAA, tout d'abord, ça n'a rien à voir avec l'association amicale des amateurs d'andouillette authentique (AAAAA, authentique aussi) ni avec les agences de notation financière des entreprises et des États (« allez John-Wolfgang, rabaisse-moi donc la France de AAA en AA, ça leur apprendra à ne pas respecter les andouillettes »). C'est tout simplement un blockbuster, un jeu de premier plan pour un éditeur ou un constructeur de consoles, le genre de titre qu'on voit en couverture des magazines (dont Canard PC, même si on essaye de varier les plaisirs) et pour lequel on colle des pubs dans le métro, dans la rue, au cinéma voire à la télé. Plus qu'un jeu, c'est un produit conçu pour plaire au plus grand nombre, comme les films hollywoodiens. Et, bien sûr, c'est un jeu au budget faramineux (de quelques dizaines de millions de dollars à plusieurs centaines ; tout récemment, le Guardian estimait par exemple le budget global de FIFA 16 à environ 350 millions de dollars), développé par de très grosses équipes (d'une centaine pour les plus petits à plus de mille personnes pour certains jeux d'Ubisoft Montréal) parfois réparties en plusieurs studios sur de multiples continents, qui travaillent souvent avec un nombre hebdomadaire d'heures qui ferait peur à un mineur du XIXe siècle. Le tout dispose d'un budget marketing souvent aussi épais (se chiffrant donc également en dizaines ou en centaines de millions de dollars) que celui alloué au développement. Bref, c'est Grand Theft Auto, Uncharted, Assassin's Creed, Gears of War, Call of Duty, Final Fantasy, Tomb Raider, Battlefield, Watch Dogs, Deus Ex, Dishonored, Mafia, Fallout, Destiny, Elder Scrolls, The Division et tant d'autres.
Secret des chiffres
Les éditeurs ne faisant aucune communication officielle quand ça va mal et donnant de toute façon très peu de chiffres détaillés même quand ça va bien, le succès ou l'échec d'un jeu peut être difficile à évaluer. Mais entre les estimations de SteamSpy et Superdata et nos sources dans plusieurs des studios concernés, nous avons pu avoir une idée claire de la situation.
Gros budget, gros risque. Évidemment, on n'avance pas de tels budgets sans l'assurance d'un retour sur investissement (et idéalement d'un gros bénéfice : plus on mise de l'argent, plus on espère en gagner), c'est pour cette raison que ces jeux visent le plus large public possible. C'est ce qui explique aussi que, quand ils sont plusieurs à se planter à la suite, ça commence à se voir : un jeu à petit ou moyen budget qui foire, ça n'implique après tout qu'une perte petite ou moyenne. Pour un jeu à gros budget en revanche, ça signifie non seulement un gros trou dans le porte-monnaie (ce qui peut coûter cher : c'est ce qui, il y a quelques années, a mené THQ vers la faillite), mais surtout le risque d'une franchise désormais non rentable, et donc la nécessité d'en fabriquer une autre en remplacement. Or, concevoir de zéro une nouvelle franchise coûte encore bien plus cher que de produire une suite dont l'univers est déjà défini, les équipes de développement déjà rodées, les mécaniques de gameplay déjà en place et la technologie sous-jacente généralement déjà développée. Bref, un AAA qui se plante, ça n'est jamais bon signe. Alors quand en plus ils se crashent en série...
Pas du tout refroidi par les ventes en baisse de Call of Duty : Infinite Warfare (car même en baisse, Call of Duty reste bien au-dessus de quasiment tous les autres), Activision a d'ores et déjà confirmé que Sledgehammer Games bossait sur l'épisode prévu pour fin 2017.
Les éditeurs savent souvent très tôt, des mois avant la sortie, si leur jeu fera un bide ou pas.
Espoirs déçus. Le plus surprenant, c'est que les AAA de cette année comptaient à bien des égards parmi les plus épatants depuis longtemps, avec des protagonistes qui brisaient enfin un peu le moule traditionnel du héros trentenaire blanc et taciturne aux cheveux courts (Mafia 3, Watch Dogs 2, Mirror's Edge Catalyst, Dishonored 2), ou avec une coûteuse série télé intégrée (Quantum Break), un modèle économique original (Hitman)... D'une manière générale, la plupart des AAA qui se sont plantés cette année sont des bons jeux, souvent meilleurs que leurs prédécesseurs (ayons par exemple une petite pensée pour l'excellente campagne solo de Titanfall 2 à laquelle personne ou presque n'a joué). Et puis la situation est paradoxale : ces gros jeux censés cartonner sur consoles se vendent moins bien que les années précédentes, alors même que le parc de consoles a (de façon très logique) augmenté. Aux dernières nouvelles, on dénombrait 50 millions de PS4 vendues et environ moitié moins de Xbox One, soit en théorie assez de monde pour acheter un jeu de temps en temps... Sauf s'ils restent coincés sur FIFA ou GTA. Idem sur PC, où les nouveaux outils anti-piratage permettent en théorie à une superproduction de connaître un lancement à succès sans qu'une version piratée ne soit disponible deux jours avant, et ce sans pour autant trop gêner les clients.
Le saviez-vous ?
Histoire de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Gamestop (maison-mère américaine de Micromania) est devenu éditeur d'indés sur Steam sous le nom GameTrust Games. Parmi les premiers studios à avoir signé chez eux : Insomniac Games, Ready at Dawn, Tequila Works et Frozenbyte.
Les précommandes font le jour... Le pire, bien sûr, c'est que les éditeurs ont vu venir la chute des mois à l'avance, et y ont assisté sans pouvoir faire grand-chose. Comment ? Avec les précommandes, bien sûr. Les AAA, bien plus que les jeux à moindre budget, dépendent encore énormément des consoles. Et sur consoles, les ventes sont encore essentiellement conditionnées par la distribution physique (les boutiques en ligne intégrées aux consoles vendent chaque année davantage, mais entre l'impossibilité de revendre ses jeux et les prix élevés, elles ne sont tout simplement pas compétitives). C'est là que les précommandes entrent en jeu : elles sont une danse de séduction autant pour le client final que pour les grossistes et revendeurs, qui peuvent juger de l'intérêt commercial du produit des mois avant sa sortie. C'est bien pour ça, d'ailleurs, que la plupart des précommandes de AAA sont agrémentées de bonus divers et variés (mais surtout destinés aux collectionneurs et aux pigeons) en édition volontairement limitée : pour pousser à l'achat des mois avant que le jeu ne soit terminé, et donc créer une dynamique positive.
Si la plupart des jeux ayant échoué en cette fin d'année ne réaliseront jamais les profits attendus, ils finiront à peu près tous par être rentables, à coups de soldes ou de DLC.
... et la nuit. Plein de précommandes, c'est l'assurance d'une mise en avant dans les boutiques à la sortie et surtout un indicateur que le jeu fait envie. Peu de précommandes, c'est mauvais signe, et le jeu aura du mal – c'est un euphémisme : l'offre aujourd'hui est suffisamment vaste pour que revendeurs comme clients ne reviennent pas sur leur avis après une mauvaise première impression – à s'en remettre à sa sortie. Comment convaincre Micromania (ou sa maison-mère américaine Gamestop) d'acheter des boîtes à mettre en vente de Blublu of Duty XIX, votre nouveau disco-FPS (la suite de Blublu of Duty : Warrior Warmachines of War, qui ne s'était déjà pas très bien vendu l'année passée), si aucun client ou presque n'a acheté la version précommandable avec figurine démontable en pâte à modeler et frigo portatif avec platine de DJ intégrée ? Eh oui, ce n'est pas facile tous les jours. Bref, les éditeurs savent souvent très tôt, des mois avant la sortie, si leur jeu fera un bide ou pas. En cas de mauvaises précommandes, certains iront jusqu'à annuler immédiatement la suite prévue (car dans le monde des AAA, il n'y a pas de repos pour les braves : quand la production d'un jeu débute, la pré-production du suivant démarre), avant même la sortie du jeu : pas vraiment le meilleur moyen de regonfler le moral des troupes en train de cruncher pour finir le jeu. D'autres éditeurs continuent malgré tout : l'échec commercial retentissant de Watch Dogs 2 ne devrait ainsi pas être celui de la série, ce n'est pas le genre d'Ubisoft. En même temps, quand des centaines de personnes bossent déjà sur la suite, changer tout son plan est la certitude de ne jamais retrouver ses billes, mais aussi d'affronter une perspective peu réjouissante : tout jeter certes, mais aussi devoir improviser un nouveau AAA pour la même date de sortie que celui qu'on vient d'annuler, avec beaucoup moins de temps devant soi.
À qui la faute ? Mais alors que se passe-t-il ? Les gens n'aimeraient-ils plus les jeux vidéo ? Ou peut-être n'ont-ils plus d'argent à dépenser dedans ? Ça semble peu probable : le chiffre d'affaires de l'industrie (qui inclut aussi le jeu mobile) continue de croître. Est-ce la faute des jeux eux-mêmes, qui manquent parfois d'inventivité ? Possible : avait-on vraiment besoin d'un nouveau Gears of War ? de suites fort bien faites mais sans réelles nouveautés pour Deus Ex et Dishonored ? d'un énième jeu en monde ouvert par Ubisoft ? d'un autre GTA-like où l'on joue les gangsters ? Mais en même temps, les gros succès de l'année n'ont pas fait montre d'énormément d'originalité non plus. GTA V reste un jeu de malfrats, FIFA 17 ne s'est pas mis au base-ball, Battlefield 1 reste un FPS (qui se déroule pendant un conflit relativement peu exploité, certes), le couple Pokémon Soleil/Lune en rajoute encore après la frénésie Pokémon Go de l'été... Chercher l'explication dans l'originalité (ou la non-originalité) des jeux semble nous mener à une impasse. Et si, tout bonnement, il fallait plutôt regarder ce qu'ont en commun ceux qui marchent ? GTA V, The Division, Dark Souls 3, Destiny, Overwatch, FIFA 17, Battlefield 1, CSGO... autant de jeux à la durée de vie encore allongée par une forte composante en ligne, qui peuvent cannibaliser le marché.
Service compris. C'est ce que l'industrie appelle games as a service (ou parfois « AAA+ », sans que personne ne sache si c'est ironique ou pas), des jeux considérés non pas comme des « œuvres » finies mais comme des services offerts sur la durée (ce qui, par ailleurs, permet de les vendre comme des produits pas terminés). Et si on passe déjà ses soirées à alterner entre Rainbow Six : Siege (sorti fin 2015, l'une des success stories de 2016, avec un nombre de joueurs en ligne qui croît chaque mois) et Overwatch, on ne va pas s'embêter à aller acheter le dernier Call of Duty. À l'époque de la sortie de Portal 2, Gabe Newell avait déclaré que ce serait le dernier jeu purement solo de Valve, qu'à l'avenir tous leurs autres titres auraient une composante en ligne. Sur le moment, tout le monde avait cru qu'il s'agissait des divagations habituelles de la part d'un type qui collectionne les couteaux comme les dollars, mais finalement, quasiment six ans plus tard, on est obligé de reconnaître que le père Newell avait simplement un peu d'avance sur le marché. Et ce n'est pas pour rien que les éditeurs aiment ces nouveaux games as a service : c'est là qu'ils peuvent vendre le plus de DLC et de micro-transactions.
Du pognon et des thunes. Demandez par exemple à Electronic Arts : l'éditeur vend pour environ 2,5 milliards de dollars chaque année de produits directement sur les boutiques numériques (dont la sienne, Origin). Sur ce total, environ 600 millions viennent des jeux mobiles en free-to-play, 500 des ventes de jeux complets sur Origin, Xbox One et PS4 (à 60 ou 70 balles le jeu, même en enlevant 30 % de taxes, ça fait finalement assez peu de ventes vu le nombre de sorties par an de l'éditeur) et 350 de la pub et abonnements de type Origin Access. Le reste, soit 1,1 milliard de dollars, provient des DLC et micro-transactions hors jeux mobiles. Pas étonnant, du coup, que l'idée séduise tous les éditeurs. Idem pour Grand Theft Auto V : ce ne sont pas les mods (ou les quelques fanatiques qui cherchent les derniers secrets du jeu) qui ont fait vendre des dizaines de millions d'exemplaires, mais le mode multijoueur GTA Online, que Rockstar tient très régulièrement à jour avec du nouveau contenu, et qui représente une part non négligeable des revenus de Take Two. Pour revenir à Valve, citons les exemples de Dota 2, Team Fortress 2 et Counter-Strike Global Offensive, avec leurs chapeaux et leurs skins d'armes vendus dans des caisses en micro-transactions. Même principe pour Overwatch (Blizzard y avait déjà trempé les orteils avec Hearthstone, provoquant joie et bonheur chez les actionnaires d'Activision Blizzard). Fin 2016, selon les analystes de Superdata (qui estiment chaque mois les recettes de tous les jeux en ligne), Battlefield 1 et Overwatch faisaient partie du top 10 mondial des jeux PC où les joueurs dépensent le plus, derrière League of Legends, Crossfire, Dungeon Fighter Online (deux free-to-play qui cartonnent en Asie) et World of Warcraft, mais surtout devant World of Tanks, Dota 2 et Counter-Strike : Global Offensive.
Éditeurs alternatifs. Tous les éditeurs ne sont évidemment pas touchés par l'AAApocalypse, notamment parce que tous ne financent pas des AAA. Certains préfèrent ce qu'ils appellent (parce qu'il faut décidément du jargon pour tout et n'importe quoi) des « double A » ou des « triple I » : de très gros jeux indépendants. C'est le cas des titres d'Amplitude (désormais chez Sega), de certaines grosses productions Devolver comme Shadow Warrior 2, ou de la plupart des créations de Focus Home Interactive (à venir par exemple : Styx 2 et Call of Cthulhu chez Cyanide, Vampyr chez Dontnod). Il s'agit de jeux moins coûteux, pouvant donc rentrer plus facilement dans leurs frais. Ce qui est une mauvaise vente pour un AAA devient un très bon chiffre pour eux. D'autres éditeurs tentent, eux, de survivre en ne proposant que des petits jeux indés, mais l'offre est si grande dans ce secteur que la situation y reste encore plus concurentielle et difficile que pour les AAA. Pour cette raison, des boîtes comme THQ Nordic, Retroism et Night Dive Studios font office de voitures-balai de l'industrie, et rachètent les jeux de la plupart des studios qui ferment pour les ajouter à leur catalogue et se faire un peu de blé avec des rééditions. Tout récemment par exemple, THQ Nordic a ressorti le tout premier Red Faction sur PlayStation 4 et racheté tout le catalogue Novalogic (Delta Force, Joint Ops, Comanche...). C'est sûr, ce n'est pas aussi glorieux que de bosser sur Blublu of Duty, mais ça permet d'assurer une certaine stabilité.
Apocalypse relative. Ne nous inquiétons pas trop pour les éditeurs : si la plupart des jeux ayant échoué en cette fin d'année ne réaliseront jamais les profits attendus, ils finiront à peu près tous par être rentables, à coups de soldes ou de DLC. C'est une formule qui ne fonctionne pas toujours (Take Two, notamment, avait tenté de transformer Evolve en free-to-play suite à son échec commercial, puis lâché l'affaire après avoir essuyé un deuxième rejet de la part des joueurs), mais les grosses boîtes du jeu vidéo se débrouillent toujours pour gratter un sou ou deux partout où elles le peuvent. L'échec d'un jour peut parfois se transformer en succès surprise : prenez le film Warcraft coproduit par Blizzard par exemple. À sa sortie américaine, tout le monde a cru à un bide homérique. Et puis les chiffres des salles de cinéma chinoises sont arrivés, et tout d'un coup, le voilà avec 400 millions de dollars de recettes dans le monde, ce qui en fait l'adaptation ciné d'un jeu vidéo au plus gros box-office mondial. Même certains jeux aux ventes très basses ont des chances de s'en tirer : Steep, par exemple, a beau s'être encore plus ramassé à sa sortie que Homefront 2 ou Battleborn (ce qui n'est pas un mince exploit), il a sans doute coûté beaucoup moins cher à produire et devrait donc parvenir à sortir du rouge.
Qu'est-ce que ça va changer ? On ne verra pas forcément les conséquences de ces mauvaises ventes dès cette année (quoique chez certains, si : Activision, toujours pragmatique, a déjà annulé l'une de ses franchises annuelles, Skylanders, après son échec en 2016), mais plutôt en 2018 et après, où l'on verra les studios sortir autre chose que des suites aux jeux de 2016. Les jeux de 2017, eux, sont en production depuis trop longtemps pour tout chambouler. Parmi les évolutions possibles, il n'est pas exclu que les principaux éditeurs suivent le chemin d'Activision et d'Electronic Arts et prennent encore moins de risques, jusqu'à se contenter d'une poignée de méga-franchises chaque année avec énormément de contenu en ligne (et donc d'occasions de dépenser des sous) pour chaque jeu. Possible aussi que tous tentent le coup des games as a service mais arrivent après la bataille, dans un terrain déjà conquis et occupé par d'autres. Ou qu'ils se mettent à produire plus de jeux à plus petit budget, donc à plus petit risque. Probable, enfin, que certains ne changent rien et considèrent que se planter fait partie des risques du métier : la branche 2K de Take Two enchaîne bide sur bide (hors jeux Firaxis, 2K Sports et Borderlands) depuis des années, comme Evolve, Battleborn, Mafia 3 (dans une certaine mesure), Spec Ops : The Line, The Darkness 2 et The Bureau: XCOM Declassified, et pourtant ça ne les empêche pas de continuer à en sortir. Il faut dire que l'autre filiale de Take Two, Rockstar Games, ramène du pognon tous les mois à la maison avec GTA V.
Des histoires encore à écrire. Comme l'annonçait au Monde en novembre son directeur éditorial, Ubisoft a de son côté amorcé un virage vers des jeux plus ouverts, moins narratifs, moins scénarisés, moins linéaires. Et sans doute moins coûteux à produire. En « laissant le joueur écrire sa propre histoire » (c'est l'ambition – ronflante – affichée), on peut aussi imaginer qu'Ubisoft veuille des jeux qui durent plus longtemps, et surtout à la vie commerciale plus longue, avec plus de DLC et de micro-transactions pour personnaliser encore plus « sa propre histoire ». On n'est pas forcément très loin des games as a service. Le premier devrait être le prochain Assassin's Creed, en fin d'année. En attendant d'inaugurer cette nouvelle formule, Ubi a d'ores et déjà deux GAS prévus pour 2017 : For Honor et Ghost Recon Wildlands. Une chose est sûre : que les gros éditeurs s'orientent ou pas vers des jeux plus connectés et plus durables, quoi qu'il arrive ils continueront à sortir de gros titres pour Noël, même s'ils seront peut-être un peu moins nombreux. Et quoi qu'il arrive, chaque septembre jusqu'à l'apocalypse, la vraie, celle qui fera pleuvoir du feu sur Terre, celle qui ouvrira les portes des Enfers et anéantira la planète toute entière, Electronic Arts sortira un nouveau FIFA.