Les premières parties de Beasts of Balance demandent un minimum de préparation : il faut faire de la place sur la table, ouvrir la boîte, en sortir un gros socle blanc puis une demi-douzaine de figurines d'animaux et tout une série d'autres petites pièces aux formes étranges et à l'utilité encore mystérieuse. Ensuite, il faut mettre des piles dans le socle et télécharger une application (du même nom que le jeu) sur son téléphone portable ou sa tablette (iOS et Android), puis synchroniser le socle avec l'app. Et une fois tout cela fait, il faut encore découvrir les règles du jeu qui ne consistent pas à simplement empiler les figurines les unes sur les autres sur le socle jusqu'à ce que tout s'effondre dans un effroyable boucan. Non, dans Beasts of Balance, chaque animal posé sur le support apparaît dans le monde du jeu sur l'écran de l'app, et chaque bestiole vaut un nombre défini de points. Posez-en une d'une valeur supérieure aux autres, et la bête précédente, qui fatalement se sent lésée, perdra encore des points. Que faire alors ? Eh bien, en utilisant les formes bizarres, vous pouvez tenter de nourrir votre animal, mais encore faut-il réussir à placer la figurine en équilibre. Ou bien, en utilisant une barre ou une croix, vous pouvez créer des hybrides, transformer un animal terrestre en animal marin, ou carrément fusionner deux bestioles. Et ainsi, pièce après pièce, on remplit le monde de l'app avec des créatures absurdes, ni tout à fait horribles ni tout à fait mignonnes, des aigles-baleines, des ours-poulpes, des toucans-baleines...
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Beasts of Balance
Lâchez-lui l'hybride
Monter une tour de Jenga pour la voir ensuite s'écraser, construire un palais dans Minecraft et puis l'embraser, fabriquer des machines de guerre dans Besiege qui explosent au milieu du camp adverse... Construction et destruction vont souvent ensemble. Dans Beasts of Balance, il faut se faire violence : non seulement on est là pour bâtir, mais il faut tout faire pour éviter la moindre chute d'objet. Mince alors.
Les animaux fantasques. La forme de chaque figurine est soigneusement étudiée pour permettre des assemblages complexes, toujours à la limite de l'équilibre et de la chute. Cela encourage surtout à faire des essais : qui sait, en renversant le poulpe, peut-être tiendra-t-il mieux sur le dos de l'aigle ? Ou alors de côté ? Et si j'emboîte l'une des pièces bizarres dans une autre, ça passe ? Si tout s'effondre, vous avez quelques secondes pour tenter de réassembler les pièces sur le socle, sinon c'est la fin de la partie. Votre score est alors calculé à partir de la valeur en points de vos différentes bêtes. Vous noterez qu'avec tout ça, je n'ai pas parlé de l'affrontement entre les joueurs. C'est parce qu'il n'y en a pas. Beasts of Balance peut se jouer seul (mais c'est un peu triste) ou à plusieurs, et dans ce cas il devient coopératif. On pourra alors laisser un joueur gèrer l'app pendant que les autres posent des pièces, ou un évaluer la stabilité de la structure et donner ses recommandations d'apprenti architecte sur l'endroit et la façon de poser des bêtes... Ou bien tout le monde fera un peu n'importe comment, peu importe finalement : l'essentiel est de se débrouiller pour créer le totem le plus complet, le plus rentable en points et le plus bizarre possible. Pour les plus fortiches, certaines pièces atrocement dures à placer (comme cette espèce de serpentin qu'on peut suspendre par un bout ou, avec un peu de chance, poser sur le nez de la baleine, mais là je vous aide) permettent aussi d'activer des défis supplémentaires (par exemple placer une pièce très vite, avec tous les risques que cela implique), qui permettent d'engranger encore plus de points.
Pas là pour faire de la figurination Le secteur des jeux hybrides (à la fois sur supports physique et numérique) part dans tous les sens depuis quelques années. En France, les éditions Volumique (dont on avait testé World of Yo-Ho, où les smartphones des joueurs servent à la fois de pions sur la carte et d'interface privée, dans notre hors-série dédié aux jeux de plateau) mènent la danse. La petite entreprise d'Étienne Mineur a notamment développé une technologie permettant de transformer relativement facilement n'importe quelle figurine en objet connecté pour tablette ou téléphone, en collant trois petites pastilles d'encre électronique sous le socle de la figurine. Plusieurs projets de jeux s'en servent déjà : Dungeon Mini, un dungeon crawler actuellement sur Kickstarter et conçu par l'un des créateurs de World of Yo-Ho, où l'on utilise sa figurine pour se déplacer et pour combattre ; et Oniri Islands, du studio suisse Tourmaline, une aventure coopérative (et donc avec deux figurines à la fois) plutôt orientée pour les enfants. Hanakai, un autre studio français passé par Kickstarter il y a quelques années, prépare lui Prodigy, un jeu de combat tactique avec plusieurs figurines et un plateau connecté, qui risque d'être bien plus coûteux. Mais les jeux hybrides ne concernent pas que les jeux de société : The Ice-Bound Concordance propose par exemple un récit solo qui se joue sur PC ou iPad, mais qui nécessite la consultation d'un bouquin en papier tout à fait classique (The Ice-Bound Compendium) pour progresser.
Pèse-bestioles. Avec ses jolies couleurs pétantes et ses petits animaux, Beasts of Balance a l'air d'un jeu pour enfants. Et si on peut tout à fait y jouer avec des gamins (officiellement à partir de sept ans, mais si vous n'avez pas peur de faire des scores bas, même des enfants plus jeunes peuvent s'y essayer), le jeu prend cependant tout son sens avec des adultes bien synchronisés. L'un gère le stock de pièces, l'autre surveille le totem, un troisième suit ce qui se passe sur l'écran, note quel animal perd des points et quelles sont les opportunités de créations d'hybrides, enfin un ou deux autres posent précautionneusement les pièces. Et tout le monde doit, bien entendu, être prêt à réagir dans le dixième de seconde en cas de chute. Joué ainsi, Beasts of Balance dépasse son statut de petit jeu rigolo et offre des parties tendues, presque sérieuses, souvent silencieuses, où tout le monde se concentre, où personne n'ose souffler trop fort de peur de tout faire tomber par erreur.