Starcraft aurait pu rester à jamais un temple du jeu de stratégie en temps réel (STR), une mécanique bien huilée dans laquelle les zergs, les terrans et les protoss s'entre-tuent avec sérieux sous l'œil de commentateurs à la mine grave. Le problème, c'est que les joueurs ont foutu le bordel. Dès la sortie du jeu, ils ont remarqué une option un peu spéciale : « utiliser les paramètres de la carte » (« use map settings » UMS en anglais). Grâce à une forme rudimentaire de scripts, ils permettaient d'explorer d'autres formes de gameplay que le classique triptyque construction de base-production d'unités-défonçage de l'adversaire. Dès lors, des milliers de forcenés n'ont eu de cesse de subvertir le STR. Ils ont créé leurs propres éditeurs de niveaux, bien plus puissants que celui de Blizzard, et se sont mis à transformer Starcraft en jeu de rôle, en tower defense, en jeu d'horreur, en ébauche de mobaNote : 1, en jeu porno, de golf, de tennis, en adaptation du Seigneur des Anneaux ou de Dragon Ball Z et j'en passe. Puisque Starcraft vient de passer gratuit dans l'attente de son remaster (qui lui sera payant), c'est le moment ou jamais d'explorer l'ingéniosité des moddeurs en téléchargeant quelques-unes de leurs créations pour y jouer avec des inconnus ou des potes – ou même tout seul.
Note 1 : C'est sur une UMS de Warcraft III que fut créé DotA, lui-même inspiré... d'une UMS du premier Starcraft.
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Starcraft
Le summum des UMS
En ce moment, je joue régulièrement au premier Starcraft. Oui, celui où l'on ne croise personne qui ait moins de six mille heures de jeu au compteur. Et vous savez quoi ? Il m'arrive de gagner. Bon, en même temps je ne lance pas de duels ou de matchs à mort, ces modes emblématiques qui remplissent les stades coréens et condamnent tout néophyte qui s'y risque à l'humiliation la plus cuisante. Non, je joue à des UMS. Et comme Starcraft vient de devenir gratuit, vous pouvez aussi vous y mettre. Vous allez voir, c'est fantastique.
Pincée de Sahel. Parmi les dizaines de milliers d'UMS créées au fil des ans, certaines ont réussi à se démarquer et à graver leurs noms dans la mémoire des joueurs : je pense à Nexus Wars, Helm's Deep, Evolves et d'autres maps que vous reconnaîtrez peut-être si vous avez déjà joué à Starcraft en multi. L'une des UMS les plus célèbres et les plus intéressantes – elle reste encore jouée aujourd'hui, y compris sur Starcraft 2 – est Desert Strike, où deux équipes de trois joueurs s'affrontent grâce à des unités contrôlées par l'IA. Les humains ne prennent pas part au combat : ils se contentent de rester à l'écart de la mêlée et de construire des bâtiments. Chaque minute, de nouvelles unités apparaissent et se jettent dans la bataille ; ce sont justement les bâtiments des joueurs qui déterminent la composition de ces renforts. Construisez une armurerie terran, et deux motos Vulture apparaîtront toutes les minutes, bâtissez trois portes des étoiles protoss et ils auront six avions avec eux à chaque fois. Accessible aux débutants parce qu'elle enlève la pression du micro-management pour tout miser sur la stratégie, Desert Strike fourmille quand même de petites subtilités : il faut gérer ses ressources intelligemment, surveiller ce que fait l'équipe adverse et tenter de contrer sa tactique, utiliser des pouvoirs spéciaux, se méfier des unités invisibles… Surtout, contrairement à plein d'autres UMS, Desert Strike est très bien équilibrée et on peut y atteindre la victoire sans copier les deux ou trois stratégies dominantes. Si ses parties étaient un peu moins longues, nul doute qu'elle aurait été à l'origine d'un phénomène comparable à DotA. Elle a en tout cas donné naissance à une tonne de variantes, dont la très chouette Builders and Fighters, qui demande à un joueur de gérer les bâtiments pendant que son coéquipier ne s'occupe que de gérer la ligne de front avec les unités qu'il reçoit.
Aller tâter le terran Après avoir téléchargé Starcraft, vous n'avez qu'à lancer le jeu, à accéder au mode multijoueur et à y créer un compte. Filtrez ensuite les parties en n'affichant que le mode « réglages de la partie » et rejoignez-en une qui vous paraît intéressante. Votre jeu la téléchargera automatiquement afin que vous puissiez l'héberger par la suite. Pour trouver des UMS sans passer par le jeu, il est conseillé d'utiliser un annuaire comme celui de Nibbits ou StarEdit, le site de la communauté des moddeurs, et de déplacer ensuite les maps téléchargées vers C:\Users\Votrenom\Documents\Starcraft\Maps\Download.
Le kavalier de l'apocalypse. Parfois, ce n'est pas une carte en particulier qui est restée dans les mémoires mais son créateur. Au début des années 2000, Panzer_Kavalier est ainsi devenu un auteur d'UMS reconnu, un stakhanoviste débordant d'idées et dont la signature au bas d'une map était gage de qualité. Ses UMS comme Marine Special Forces SE ou l'incroyable Normandy Invasion (adaptation très libre du débarquement allié) restent encore souvent jouées aujourd'hui. La plus populaire d'entre elles est calquée sur Resident Evil, comme quoi il est plus facile d'adapter un jeu vidéo dans un autre jeu vidéo de 1998 qu'au cinéma (ah, si Uwe Boll avait su ! Quelles belles UMS il aurait faites). Dans Resident Evil Raccoon City, l'attention que Panzer_Kavalier porte aux détails, à l'ambiance et au scénario atteint son paroxysme : les joueurs y incarnent les forces de police d'une ville assaillie par une armée de zombies et ils doivent donc établir des points de contrôle, monter des barricades, recruter des adjoints, secourir des habitants, sécuriser certains quartiers et j'en passe. Fabuleux. Où est l'auteur à présent ? Les dernières nouvelles de lui datent de 2003, quand il a glissé un message à la fin d'une de ses missions où il expliquait s'être engagé pour partir combattre en Irak. Quinze ans plus tard, il n'a toujours pas réapparu.
Magic Maginot. Raccoon City et Normandy Invasion ont beau faire partie des meilleures UMS de Starcraft, aujourd'hui la plupart des parties dans ce mode de jeu se sont détournées de ce genre de maps scénarisées qui piochent parfois du côté du RPG. De nos jours, c'est en effet un tout autre pan des UMS qui occupe la majorité des joueurs : les UMS de défense. Alors d'accord, ces maps relèvent souvent du tower defense sans imagination où les joueurs collaborent pour construire le plus de bunkers possible le long du chemin des ennemis. Cependant, les plus populaires, celles que l'on voit à chaque fois qu'on lance Starcraft, sont un peu plus originales et complexes. Matrix Defense, par exemple, a la particularité de permettre au joueur de produire les unités des trois races du jeu – et ne venez pas me dire que la perspective de combiner des tanks terrans et des mages protoss vous laisse de marbre. Hélas, la plupart des UMS de défense cachent derrière leur façade débonnaire et accessible (qui ne sait pas jouer à un tower defense ?) une technicité absurde. Prenez Bunker Defence, où chaque joueur doit protéger un casemate contre une marée infinie d'ennemis (les huit bunkers des huit défenseurs sont placés en étoile autour de la zone hostile) : les débutants n'y ont aucune chance. On entre là dans les UMS pour les fins connaisseurs de Starcraft, ceux qui savent qu'acheter douze marines au lieu de onze est une terrible erreur ou que les snipers ont 25 % de malus contre les ultralisks. À condition de tomber sur ce genre de pros pour qu'ils vous apprennent les ficelles, Bunker Defence peut donner d'excellentes parties pleines de tension, avec en permanence la menace sourde que l'un des joueurs perde – et que les ennemis qui l'attaquaient se reportent sur les autres. On retrouve la même épée de Damoclès dans le remarquable HGMA Defense, qui demande d'habilement gérer ses ressources et où les ennemis qui passent les défenses d'un joueur se retrouvent face aux unités de son coéquipier.
Le seum des UMS. Au fond, il est un peu triste de pouvoir résumer le monde actuel des UMS en quelques maps. Le bouillonnement créatif des années 2000 a été coupé dans son élan par Starcraft 2, dont la gestion maladroite de ce mode de jeu a divisé la communauté – qui s'est en partie seulement consacrée au portage des anciennes UMS sur le moteur de Starcraft 2. Il a beau rester du monde sur le premier Starcraft, y compris sur des maps extrêmement originales (je ne vous ai pas parlé de Poker Defense, l'excellent tower defense où l'on gagne ses unités au poker), mais si la réédition de Starcraft prévue pour cet été n'est pas compatible avec les UMS non remasterisées, une fracture encore plus nette de la communauté est à craindre. Bon, en attendant, ça ne coûte rien de jouer à celles qui font le bonheur des joueurs depuis vingt ans et d'être témoin de la créativité d'une bande d'acharnés qui ont voulu repousser le plus loin possible les limites du STR.