On en fracasse, des vitres, dans ce jeu. Le premier objet qu'on ramasse, c'est une jolie clé à molette, lourde, bien galbée, qui semble supplier qu'on l'envoie dans du verre. Alors je l'ai envoyée dans du verre, qu'est-ce que vous voulez, je suis un homme simple. Les vitres de Prey se brisent de façon merveilleuse – pas tout d'un bloc, mais morceau par morceau, avec un bruit divin, un cling-cling-cling que Saint Pierre ne renierait pas pour appeler les âmes aux portes du paradis. Dans ces conditions, vous comprendrez que j'en étais encore à donner des coups de clé à molette partout quand le jeu a décidé qu'il était temps de répondre à mes questions et d'envoyer un petit film sur un écran pour m'expliquer dans quoi j'avais mis les pieds. Hélas, la phrase « vite, je dois t'expliquer, voilà ce qui s'est passé, tu… » suivie d'un cling-cling-cling sans doute un peu hâtif n'a pas suffi à faire toute la lumière sur cette saloperie de station spatiale qui part en vrille. Heureusement, le coup de l'espace hostile et froid, on commence à avoir l'habitude.
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Prey
Baroque alternatif
Le scénario, dans un jeu vidéo, ce n'est pas très important. Franchement, qu'est-ce que ça change, le scénario, hein ? On devrait s'en foutre. Ouais. On devrait, euh, s'abstenir de parler de scénarios à partir de maintenant. OK, faisons comme ça. En plus ça m'arrange, parce qu'une satanée clé à molette a cassé l'écran où toute l'histoire de Prey était enfin racontée à mon personnage.
Un accident est si vitre arrivé. Pendant la première heure de jeu, puisque c'est à cela que s'est limitée ma session dans les locaux de Bethesda, Prey ne s'écarte pas trop des sentiers battus : une immense station spatiale où un paquet de monde vit confortablement se retrouve soudain dans le chaos tandis que vous vous baladez en fracassant des vitres à grands coups de clé à molette. Vous pouvez aussi fracasser des ennemis, d'ailleurs, mais c'est moins rigolo. Quoique : les mimics, ces sortes d'ombres solides résolument hostiles – qui vont de la taille d'un chat à celle de Doc Teraboule de Canard PC Hardware – ont la fâcheuse habitude de se transformer en objets du décor, exactement comme dans Prop Hunt, ce jeu fantastique intégré à Garry's Mod. On repère un mouvement du coin de l’œil, on se retourne et bingo, il y a deux tasses à café identiques sur le comptoir, ou bien deux chaises renversées à plomber pour débusquer un mimic. Il ne faut pas avoir peur d'être trop méfiant, personne ne viendra se plaindre que vous cherchez à trucider le mobilier de la station. Par ailleurs, après avoir effectué des tests rigoureux, je peux malheureusement affirmer que les mimics ne se transformeront jamais en vitres.
Pirate de l'air. Bien sûr, la chasse aux tasses à café ne dure qu'un temps. Plutôt nerveux et bien rythmés grâce aux mimics qui sautent dans tous les sens, les combats se soldent comme de juste par un grand coup de fusil à pompe dans l'adversaire, sauf bien sûr si vous décidez d'être un peu plus finaud : les munitions étant rares – et les affrontements assez difficiles –, il est tout à fait possible de sortir le canon à glu pour emplâtrer les mimics dans une gangue de pierre avant de la casser à la clé à molette (un peu comme une vitre), ou de déménager une tourelle de sécurité face aux monstres afin qu'elle s'occupe d'eux à votre place. On nous promet que, durant le reste de l'aventure, il sera possible de manier des pouvoirs surhumains qui défient l'entendement, mais pour l'instant seul un bête mais bien utile ralenti est venu pimenter mes batailles. Batailles qu'il faudra presque toujours se farcir, malgré un arbre de compétences qui tolère beaucoup de styles de jeu : l’infiltration en soulevant les objets lourds qui bloquent certains passages et en surprenant les ennemis, le bourrinage grâce à des armes qui font plus de dégâts, la lâcheté avec le piratage des terminaux de sécurité ou autres filouteries. Si vous vous dites que tout cela rappelle fortement Deus Ex : Human Revolution, vous êtes lourd, parce que je comptais faire ce rapprochement après vous avoir dit que, pour avancer dans l'arbre de compétences, il faut s'injecter des implants trouvés au gré des niveaux. C'est du déjà-vu, mais au moins – car je reste avant tout un éternel optimiste – Prey utilise un système qui a fait ses preuves.
Le chemin de proie. Bien sûr, il n'y a pas que la castagne dans la vie, et les grands niveaux de Prey auront de quoi vous maintenir occupé sans vous noyer sous les ennemis : le jeu regorge d'ordinateurs bourrés d'e-mails qui dressent un portrait plutôt vivant de la station, les bureaux débordent de mémos et d'extraits de bouquins, les corps sans vie que l'on retrouve parfois ont tous un nom et une histoire. Surtout, il faudra ratisser chaque niveau pour trouver des implants neuronaux et des matériaux de crafting. Les recycleurs qui se dressent aux endroits stratégiques avaleront les tuyaux de cuivre, bananes, gadgets usagés et autres fleurs en pot que vous leur filerez et cracheront en retour des ingrédients utilisés pour la confection de nouveaux médikits, de munitions et d'améliorations d'armes. Cette fouille méthodique ne sera pas vraiment une corvée, puisque Prey ne vous immergera pas dans une ambiance glauque à la Dead Space mais dans une station spatiale un rien baroque, luxueuse et parfois plus drôle ou onirique qu'anxiogène – les dorures omniprésentes et le penchant de la technologie pour le look rétro pompent allègrement BioShock.
Horreur à Arkane ? À ce stade, j'étais comme vous : je me demandais quelle était la suite, la touche d'originalité qui ferait rentrer Prey dans les mémoires. Durant cette première heure de jeu, rien ne s'est révélé susceptible de frapper l'imagination. Joli sans être splendide, fait d'un enchaînement pêle-mêle de combats à l'arme à feu, de crafting et de piratage d'ordinateurs au sein d'un univers rétro-futuriste devenu presque commun dans les jeux vidéo, Prey coche toutes les cases du FPS moderne sans vraiment chercher à les dépasser. Après la première heure, de nouvelles mécaniques, des pouvoirs originaux ou même une histoire toute en rebondissements pourraient bien sûr décupler l'intérêt du jeu. Sur cette séquence liminaire, en tout cas, aucune prise de risque n'est venue prouver l'inventivité d'Arkane Austin. Espérons que le reste de l'aventure réserve des surprises de taille, sans quoi Prey risquera à sa sortie de sombrer dans les eaux tièdes des jeux agréables mais néanmoins banals.