Quand le gouvernement envisage de créer une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée lié à l’accomplissement d’un projet (le « CDI de projet »), le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) applaudit. Ce nouveau CDI, auquel l’entreprise pourrait mettre fin une fois terminé le projet auquel il est attaché, est d’abord le Graal du secteur des Sociétés de services et d'ingénierie en informatique (les SSII ou SS2I). Il leur permettrait de n’embaucher les ingénieurs et techniciens que pour la durée des contrats obtenus, sans avoir à s’en préoccuper ensuite. Pour le jeu vidéo, le problème est un peu du même ordre : un studio de développement a souvent besoin d’augmenter beaucoup ses effectifs dans la deuxième moitié d’un projet, mais se retrouve alors en sureffectif au début du suivant. Du point de vue des patrons de studios, le CDI de projet est donc une « excellente nouvelle », qui donnerait un cadre légal bien pratique à ce qu’ils gèrent aujourd’hui à grands coups de stagiaires, freelances et CDD renouvelés de façon « créative », même dans les entités bien établies.
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À quand un syndicat des salariés du jeu vidéo ?
Il paraît que notre président veut nous transformer en « nation start-up ». Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais ça a l’air bien : si j’ai bien compris, dans les start-up, tout le monde est sympa et innove à fond avec bienveillance. Il n’y a plus de luttes des classes, seulement des compétences différentes au service d’objectifs communs. Plus de travailleurs, que des équipiers. En fait, la nation start-up ça ressemble vachement à l’industrie du jeu vidéo.
On ne licencie plus, on libère en fin de projet. On n’est pas pitoyablement mal organisé, mais joyeusement charrette.
Campagne solo artificielle. Du point de vue des salariés, c’est… ben on ne sait pas, figurez-vous, parce qu’il n’y a pas de syndicat des salariés du jeu vidéo. Rappeler sur Twitter que le SNJV représente des patrons et que le point de vue des salariés sur la question était peut-être différent n’a pas tellement plu à son délégué général, qui a répondu : « Opposer 'patrons' et 'salariés' ds le #jeuvideo me semble être un débat d'un autre temps » (Julien Villedieu, 22 juin 2017).
Nous sommes donc priés de croire que dans le jeu vidéo, comme dans la nation start-up, le bien de l’entreprise est un concept neutre englobant les intérêts de tous. On imagine que le délégué syndical y est un anachronisme hirsute, bizarrement décongelé des banquises de l’histoire où repose le vieux mammouth de la lutte des classes. On ne licencie plus, on libère en fin de projet. On n’est pas pitoyablement mal organisé, mais joyeusement charrette. On ne provoque pas des burn-out mais des passions dévorantes. D’ailleurs, on ne distingue pas patrons et salariés (notez les guillemets dans le tweet de Julien Villedieu) : tous en jean-baskets, tous passionnés, circulez.
Je crois que la passion est une force et une chance. Ce que je ne crois pas en revanche, c’est que les intérêts des salariés et ceux des dirigeants soient naturellement convergents. Convergents, ils peuvent l’être et c’est un objectif primordial parce qu’il n’y a pas de belles réussites sans cela, mais ça demande du travail dans la relation, de l’ajustement du projet d’entreprise, un accord sur les priorités, du partage, bref, de la négociation.
En attendant le multijoueur. C’est vrai qu’il y a beaucoup de très petites entreprises, parfois sans salarié, pour lesquelles la question ne se pose pas, mais dans l’industrie du jeu vidéo, je n’entends jamais – mais alors jamais – parler de représentant du personnel et de négociation. Pourtant, les sujets ne manquent pas.
On trouve régulièrement des studios au nombre malsain de stagiaires, et je me dis bêtement que c’est un problème de statut qui pèse drôlement plus sur le salarié que sur le patron. J’entends souvent parler d’horaires de forcenés et, si je sais par expérience que c’est parfois indissociable d’une profession, je sais aussi que c’est drôlement plus facile à supporter dans un bureau de direction que dans un open-space de dix, vingt, trente personnes. Enfin, j’entends rarement parler de droits d’auteur ou d’intéressement aux bénéfices, et je n’en ai jamais conclu que les salariés sont tellement bien traités qu’ils le gardent pour eux.
Le meilleur moyen d’éviter de tomber dans une opposition ringarde entre patrons et salariés, c’est d’organiser un cadre pour la discussion. Et comme pour discuter il faut être deux, deux à avoir accès à l’espace public et politique, un syndicat des salariés du jeu vidéo semble nécessaire à toutes les parties.