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Shadow Warrior 2
Ninja Guedin
Dans Shadow Warrior 2, au hasard des niveaux, on trouve parfois des « fortune cookies » qui contiennent de petites phrases, parfois des citations. L'idée est amusante, à mi-chemin entre l'objet virtuel à collectionner et la papillote. Sauf que dans les papillotes de Flying Wild Hog, entre deux phrases d’auteurs prestigieux (Chesterton et Mencken, excusez du peu), on trouve des blagues de cul toutes pourries et des réflexions dignes d’un gosse de huit ans. Il est comme ça, Shadow Warrior 2 : imprévisible, incohérent et bordélique.
Contrairement à ce qu'avaient sous-entendu les sympathiques Polonais déjà responsables de l’épisode précédent, Shadow Warrior 2 n'est pas vraiment un jeu à monde ouvert : les missions primaires et secondaires s'enchaînent de façon quasi linéaire et le joueur n'a que rarement le choix entre plus de deux ou trois niveaux différents. Sa liberté se résume à déterminer dans quel ordre il souhaite les traverser, ainsi qu’à la possibilité de refaire les niveaux déjà terminés pour gratter un peu plus d’expérience et de loot. Si le monde n’est pas vraiment ouvert, il n’est pas non plus très vaste. Comptez huit heures pour la quête principale, une vingtaine pour en retourner chaque pierre. Non, Shadow Warrior 2 n’est pas très ouvert et ne propose pas non plus énormément de contenu, même si ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu un FPS avec soixante-dix flingues authentiquement différents ou un bestiaire aussi fourni. Et, pourtant, rarement un jeu n'aura autant mérité le titre de bac à sable. Car son peu de contenu, Shadow Warrior 2 n’impose aucune structure, aucune hiérarchie. Il vous balance tout à la tronche en vrac, avec une nonchalance qui ferait passer un Just Cause ou un Elder Scrolls pour des modèles d'organisation, comme un parent abusif viderait une boîte de Lego sur la tronche de son gosse en lui hurlant « maintenant amuse-toi et fais pas chier »
Un shuriken, qui courait dans l'herbe... Vous le savez sans doute, contrairement à l'épisode précédent (2013) et au jeu dont ce dernier était lui-même le reboot (1997), Shadow Warrior 2 n'est pas un FPS à proprement parler, plutôt un mélange d'action-RPG et de shooter, un peu à la manière de Borderlands ou de Destiny. Une tambouille beaucoup plus équilibrée toutefois : le jeu de Gearbox est un Diablo aux pays des flingues, farci d'objets aléatoires, dans lequel le joueur doit régulièrement changer d'équipement pour espérer survivre face à des ennemis de plus en plus balèzes. Shadow Warrior 2, lui, malgré ses concessions au loot, reste droit dans ses bottes cloutées de FPS. L'histoire est linéaire, les missions se résument en général à massacrer tout ce qu'on croise entre le point A et le point B et, surtout, l'équipement du héros n'évolue pas. On trouve de nouvelles armes, bien sûr, mais ces dernières, une fois acquises, font partie de l'inventaire de façon définitive et disposent de caractéristiques fixes, comme dans un FPS : pas question de jeter le Revolver du Démon +3 une fois qu'on a trouvé un Revolver du Démon +4. Dans ces conditions, contrairement à celle d’un jeu de rôles, la progression n’a rien de logarithmique : le héros devient de plus en plus puissant, mais un personnage de niveau 1, entre les mains d’un joueur talentueux, peut tout à fait venir à bout d’une mission de niveau 10.
Toujours par deux ils vont Le mode coop' de Shadow Warrior 2 n’est, c’est le moins qu’on puisse dire, pas indispensable. Oh, il n’est pas mauvais non plus. On y fait la même chose qu’en solo, mais à plusieurs : massacrer des monstres à la chaîne, ramasser du loot puis recommencer. Malheureusement, le côté bordélique du jeu, qui jusqu’ici jouait plutôt en sa faveur, limite grandement l’intérêt du multi. Difficile de mettre en place des stratégies ou de définir des rôles complémentaires, on se contente de foncer dans le tas ensemble en se disant qu’on aurait aussi bien pu le faire tout seul.
Nodachi parmentier. Même chose en ce qui concerne les pouvoirs de Lo Wang, le ninja foireux qui fait office de protagoniste. Ils sont au nombre de cinq : soin, onde de choc, paralysie (enfin empalement, mais le résultat est le même) et invisibilité, auxquels s'ajoute au bout de quelques heures un mode berserk qui augmente temporairement les dégâts. N'espérez pas obtenir de nouvelles capacités, ni même un arbre de talents. Vous devrez vous contenter d'une pléthore de compétences passives qui octroient de petits bonus de dégâts, de vitesse ou de points de vie. Quant au loot, faute d'armes ou d'autres pièces d'équipement à ramasser régulièrement, il se résume à des gemmes que l’on encastre dans les armes pour améliorer ou modifier leurs caractéristiques. Des TONNES de gemmes, que vous allez ramasser à la pelle jusqu’à ne plus savoir quoi en foutre, et passer un temps considérable à trier. Et puis au bout de quelques heures vous en aurez marre, déciderez de bricoler vos armes au petit bonheur la chance et réaliserez que c’est comme ça que vous auriez dû faire depuis le début. Shadow Warrior 2 n'est pas le genre de titre qui demande de passer des heures à faire du métajeu et à optimiser les synergies entre pièces d’équipement. C'est un jeu brouillon, aux mécanismes peu ou mal optimisés (contrairement à son moteur 3D, qui tourne du tonnerre même sur un PC vieillissant), parfois si chargé visuellement qu'on ne voit plus trop où on tape, à la difficulté mal réglée (par pitié, jouez au moins en mode difficile), dont on sent que le game design a été finalisé autour d'une bouteille de Smirnoff. Amateurs de précision et de belle mécanique de jeu, passez votre chemin. Bien. Les joueurs de Dark Souls et les étudiants en game design sont partis. Alors je peux vous le dire, amis bourrins bas du front, vous allez vous éclater.
Bac à sabre. Shadow Warrior 2 se fout de l'ordre, de la progression. Son seul souci, c'est la liberté. Il n'y a pas de level design à proprement parler. Les niveaux sont un amas de blocs choisis aléatoirement, collés les uns à côté des autres sans grand souci de cohérence. Ils ont pour seul point commun d'offrir au joueur l'occasion d'exploiter au maximum les capacités de déplacement horizontales et verticales de Lo Wang : dash à volonté sans la moindre phase réfractaireNote : 2, sprint illimité, double saut en veux-tu en voilà… Ce n'est pas du shooter milimétré comme le dernier Doom, plutôt une sorte de console de développement pour FPS dans laquelle un programmeur facétieux aurait poussé tous les taquets « mouvement » à fond. Le versant RPG est lui aussi chaotique à souhait. On n'est pas dans un Path of Exile ou un Diablo III, avec leurs tables de loot savamment calculées. Ici tout tombe en vrac : cartes qui offrent de nouvelles compétences inutiles, gemmes superflues par paquets de dix… Les ennemis aussi spawnent en grappe, dans tous les sens, le bestiaire est très riche et les adversaires ont des patterns d'attaque et de déplacement variés mais leur placement n’aboutit que rarement à de réelles synergies. Et puis, le miracle… Au bout de quelques heures au milieu de ce bordel général, à tirer au canon scié ou au fusil laser entre deux coups de sabre (les sensations de tir extraordinaires et le combat de corps-à-corps ultra-violent parviennent presque à nous faire oublier que, comme dans tout Borderlands-like, les ennemis souffrent d'une légère hypertrophie des points de vie), un ordre commence à apparaître au milieu du chaos.
Note 2 : C’est ainsi que nous traduirons désormais « cooldown ». Adressez vos réclamations à Maria Kalash, qui a décrété unilatéralement que tout mot anglais devait être banni du magazine.
Note 2 : C’est ainsi que nous traduirons désormais « cooldown ». Adressez vos réclamations à Maria Kalash, qui a décrété unilatéralement que tout mot anglais devait être banni du magazine.
Gemme, gemme pas. À l'aide des gemmes, chaque arme peut être modifiée. Avec un système de dégâts élémentaires tout d'abord : un fusil à pompe peut tirer des cartouches enflammées et un lance-grenades des bombes de glace. Également grâce à des bonus plus spécifiques : dégâts supplémentaires contre les ennemis de petite taille, tir simultané de tous les canons d'une arme qui en possède plusieurs, transformation d'une arme de poing en tourelle fixe… Même si le jeu ne nous y contraint jamais, on a tendance à spécialiser son arsenal. Mon lance-roquettes, dont les missiles incendiaires infligent 50 % des dégâts supplémentaires aux champions, n'aurait dû ne faire qu'une bouchée de ce géant vulnérable au feu. Seulement voilà, le salaud avait un pattern de mouvement terriblement rapide, esquivait comme un dieu, impossible de lui coller une seule roquette dans la tronche. En termes de chiffres bruts, j’avais l’arme absolue, et un seul petit détail dans le comportement de mon ennemi la rendait inutile. Et là, entre deux jurons, j’ai réalisé la beauté de Shadow Warrior 2. En mélangeant au petit bonheur la chance des idées venues du FPS (dash, esquive, patterns de mouvement…) et d’autres issues du RPG (chifoumi de bonus et de résistances…), il génère des dizaines de situations foutraques, absurdes, chaotiques. Un autre jeu, plus timide, aurait tenté d’équilibrer tout ça avec un système de règles et de contraintes. Ou bien aurait accepté, comme une nécessité statistique, de générer parfois des combats impossibles et frustrants. Shadow Warrior 2, lui, a choisi de ne pas se restreindre mais d’offrir au joueur encore plus de liberté, encore plus de bonus, encore plus de tout en quantité industrielle, pour s’assurer qu’il aura toujours le dessus et continuera à s’amuser. Et putain, bon dieu, il s’amuse.